La nostalgie Chéri-Bibi !

Diffusée à partir de fin décembre 1974 sur la première chaîne française, « Chéri-Bibi » est le feuilleton fascinant des aventures d’un pauvre bougre poursuivi toute sa vie par la fatalité.

Condamné à la place d’un autre pour deux meurtres, il est envoyé au bagne mais ne tarde pas à prendre le contrôle des forçats puis du bateau, habité par l’idée de reprendre sa place parmi les hommes et de rétablir la vérité à tout prix. C’est pourquoi il accepte la proposition d’un forçat, chirurgien au passé mystérieux, qui lui propose de lui donner un nouveau visage…

Ce pacte fantastique va pourtant rapidement se retourner contre lui, tant et si bien qu’il finira par se rendre et retourner au bagne, « sa seule famille désormais ! », non sans avoir connu un court moment de bonheur auprès de la douce Cécily.

« Faux marquis, vrai bagnard, amoureux par vocation, criminel par fatalité, vous avez devant vous Chéri-Bibi ! » (ép.6)

Du roman-feuilleton à la série TV…

 

Première adaptation pour la télévision de ce qui était, dès le départ, un (roman-)feuilleton de littérature populaire écrit par Gaston Leroux pour le quotidien « Le Matin » en 1913, les aventures de Chéri-Bibi avaient déjà connu de nombreuses adaptations au cinéma avant que Jean Pignol et A.D.G. s’en emparent dans les années 70.

Et il n’est sans doute pas inintéressant de savoir que Gaston Leroux est à l’origine, avec René Navarre et Arthur Bernede, en 1919, de la société niçoise des Cinéromans qui se consacrait à la production – pour le cinéma – de ce qu’on appelait à l’époque des « films à épisodes » !

On ne s’étonne donc pas de retrouver dans la série télévisée la virtuosité et la maîtrise du récit, la force des personnages, la verve des dialogues, et même le mélange des genres, qui sont ceux des œuvres de Gaston Leroux, d’abord chroniqueur judiciaire, grand reporter, puis romancier à succès et homme de cinéma, auteur de certains piliers de la littérature policière (Rouletabille, le Mystère de la Chambre jaune, Le Parfum de la Dame en noir), fantastique (le Fantôme de l’Opéra, la Poupée sanglante) ou d’espionnage (Rouletabille chez Krupp)…

« Chéri-Bibi » est donc un exemple de l’adaptation pour la télé d’un feuilleton de presse qui avait, dès sa conception, comme le note Stéphane Benassi dans Séries et feuilletons TV : Pour une typologie des fictions télévisuelles, les mêmes objectifs commerciaux que ceux d’une série télé. Commentant Francis Lacassin (1), – qui se trouve être aussi l’éditeur chez Bouquins de l’intégrale du cycle Chéri-Bibi  (5 romans au total) -, Stéphane Bénassi écrit : « […]Le serial [comprendre ici, au cinéma] est né d’une préoccupation purement commerciale : la recherche d’un artifice propre à retenir l’attention du public, à le faire revenir dans les salles, de même que le romancier populaire cherchait à retenir le lecteur en retardant de feuilleton en feuilleton le dénouement de son récit. » (p.113)

L’univers de Chéri-Bibi : recommandé aux enfants !

A l’époque de sa diffusion en 1974, le feuilleton était composé de 46 épisodes de seulement 13 minutes. Un rendez-vous aussi excitant que terrifiant !

Je me souviens de la morne promenade des bagnards sur le pont du bateau cage, des repas partagés dans une même grande gamelle, de la silhouette terrifiante de Chéri-Bibi (alias matricule 3216 !), de son rire énorme et de ses ordres tonitruants… De la chanson du générique de fin aussi, « Viens sur ma planète », interprétée par Marianne Mille, sur les paroles de Jean Pignol et la musique de Francis Lemarque (voir en fin d’article, lien pour téléchargement).

Chéri-Bibi alias Jean Mascard alias le N°3216 alias le Marquis Maxime du Touchais (Hervé Sand)

Plein d’images inoubliables, car très proches, finalement, de l’imaginaire des enfants … Un grand bateau lancé sur la mer, rempli de bagnards aux figures caricaturales (genre BD) et aux noms pittoresques (Chéri-Bibi, Petit-Bon-Dieu, Gueule de Bois, Boule de Gomme, le Kanak, sans oublier La Ficelle…) et où les méchants sont les héros

Courses-poursuites, coups de poing et de pétard dans les coursives, façon Guignol, disparitions mystérieuses et réincarnations pas aussi rassurantes qu’on le voudrait, mutinerie, naufrages, testaments, et pour les filles amatrices de voilettes et de belles toilettes, une douce héroïne blonde et délicate, et même un voyage (de noces) à Paris…

Il est juste dommage que, dans la version DVD, la série soit proposée sous forme de 6 épisodes – un peu longs ! – de 55 minutes

La diffusion de Chéri-Bibi à la télévision a été un énorme succès à l’époque (j’avais une dizaine d’années…) et qui ne devrait pas se démentir auprès des enfants d’aujourd‘hui, malgré des couleurs un peu passées !

… et aux adultes : Fatalitas !

Roman (ou série) sur l’erreur judiciaire, Chéri-Bibi aborde le thème de l’identité (du double), de la justice et de la recherche du bonheur sur un mode mélodramatique tout à fait réjouissant, alternant tragique et comique sur un fond très sombre qui donne à réfléchir…

  • Sur le thème du destin et de l’erreur judiciaire :

Chéri-Bibi au Commandant Barrachon : « Maintenant, écoutez-moi bien, je suis un honnête homme ! Ou je l’ai été. Ou jaurais pu l’être. Fatalitas ! » (ép.1)

Chéri-Bibi a pris la place du commandant et fait visiter les geôles du bateau aux naufragés : « Nous sommes dans le seul endroit, Madame, où on ne peut juger les gens sur l’air qu’ils ont ! Une dame : pourquoi ? Chéri-Bibi : Pourquoi ? Parce que le costume de bagnard va merveilleusement bien à… tout le monde ! » (ép.2)

Chéri-Bibi : « Qui donc aujourd’hui pourrait dire que le costume de bagnard ne lui irait pas ? Le costume de bagnard donne à chacun l’air qu’il lui faut ! » (ép. 2)

 

  • Sur la nostalgie du bonheur :

La Ficelle, compagnon de toujours de Chéri-Bibi : « Réhabiliter Chéri-Bibi est au-dessus de nos forces ? Alors soyons heureux avec nos femmes, un point c’est tout ! » (ép.5)

La Ficelle, amer : « On était si heureux, si tranquilles ! ». (ép.6)

Les nombreuses péripéties et rebondissements de l’intrigue donnent parfois lieu à de délicieux dialogues surréalistes qu’on aurait pu tout aussi bien trouver sous la plume de Beckett dans « En attendant Godot » !

La Ficelle à l’un des ex-forçats qu’il croyait noyé : « Petit Bon Dieu ! Mais d’où sors-tu ? Je te croyais mort.. Petit Bon Dieu : «  Disons que je suis ressuscité. Je te raconterai ça, un jour… quand j’aurai le temps.» (Ep.4)

L’évocation des bagnards voguant vers Cayenne est irremplaçable, de même, le plaisir de revoir certains acteurs disparus récemment, comme :

–        Jean Lefebvre, décédé en 2004, et qui joue le rôle de La Ficelle, compagnon fidèle de Chéri-Bibi. Le revoir en maillot de marin chanter à tue-tête « Qu’est-ce qu’a fait sauter l’fourbi ? C’est Chéri, Chéri-Bibi ! » est un vrai bonheur !

–        et le magnifique Daniel Emilfork, mort à Paris en 2006, qui endosse le rôle du Kanak, avec sa voix superbe et son profil inquiétant…

A noter également, la prestation de Popeck dans le rôle de l’inspecteur Costaud à la moustache de renard et celle de Dominique Paturel dans le rôle du narrateur.

Enfin, les amateurs de falaises dieppoises, de paysages et de mauvais temps normands, ne seront pas déçus ! L’utilisation de ces décors naturels avec herbes folles, vieilles pierres, mais aussi vent, froid et ciel désespérément blanc est d’ailleurs surprenante aujourd’hui, comme, parfois, la manière de filmer ou les cadrages. Il y a même une scène dans un grenier, où de la buée sort de la bouche des acteurs !

Que du bon et du grandiose, c’est Bibi qui vous le dit !

NOTES

(1) Pour une Contre-histoire du Cinéma, Francis Lacassin – Paris, Ed. 10/18, 1972

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