Trop tôt pour la psychanalyse…
Comment deux sœurs, deux bonnes, – deux « perles » selon leurs employeurs ! – sont-elles devenues, en quelques secondes le soir du jeudi 2 février 1933, deux criminelles sanguinaires que la bonne société du Mans va s’empresser de faire disparaître lors d’un procès plus qu’expéditif ?
C’est ce que Sophie DARBLADE essaie de retracer dans son livre « L’Affaire Papin » publié dans la collection « Grands Procès », aux Editions De Vecchi.
« Tuées presque sans lutte avec acharnement et raffinement de cruauté »…
Les constatations faites par le médecin légiste sur les corps des deux victimes, Mme Léonie LANCELIN et Melle Geneviève LANCELIN, sa fille, sont éloquentes (76)…
Le soir du crime, le palier du premier étage de la maison bourgeoise a été découvert, murs et portes éclaboussés de sang, la mère et la fille sauvagement massacrées à coup de pichet d’étain et de marteau, défigurées, yeux arrachés, fesses et jambes lacérées, préparées comme des lapins, et dans la chambre du fond, les deux bonnes, Léa et Christine PAPIN, serrées l’une contre l’autre dans le lit, attendant la police.
Placées, Christine l’aînée comme cuisinière, Léa la cadette comme femme de chambre, cela fait près de 7 ans qu’elles occupent cette place chez les LANCELIN, donnant semble-t-il toute satisfaction…
Et la première déclaration de Christine, pointant vers l’humiliation de trop d’une maîtresse envers sa domestique (« Elles ont voulu me frapper, je me suis vengée ») (66) tiendra juste six mois avant qu’elle ne reconnaisse avoir attaqué Mme LANCELIN dans une crise de colère, sans avoir été provoquée (81).
En pleine affaire Violette NOZIÈRE, le procès « des deux bonnes du Mans », du 29 au 30 septembre 1933 à 1h15 du matin (!), pour expéditif qu’il soit, va déclencher les passions (83-121).
Lors de l’instruction, les experts ont d’emblée établi l’entière responsabilité des sœurs Papin et ni les dépositions des témoins des crises de Christine après les faits (94), ni le témoignage du psychiatre Joseph LOGRE témoignant pour la défense (96) ne parviendront à obtenir que soit effectuée une nouvelle expertise psychologique :
« Les sœurs Papin sont responsables de leurs actes. Au moment des crimes, elles n’étaient pas en état de démence dans le sens de l’article 64 du Code pénal. L’examen ne révèle aucune anomalie mentale ou psychiatrique de nature à atténuer dans une certaine mesure leur responsabilité. » (95)
Traitées « d’arracheuses d’yeux » par le Procureur, il demande « Pour celle-ci le bagne ! Pour celle-là l’échafaud ! » (108) : Christine est condamnée à la peine de mort et Léa à 10 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour dans la ville du Mans. Leur pourvoi étant rejeté fin novembre, c’est le Président de la République Albert Lebrun qui commuera la peine de mort de Christine en travaux forcés à perpétuité en janvier 1934 (132).
Mais c’est trop tard pour Christine. Après ses nombreuses crises à la prison « avec bave, hallucination, syncope, épilepsie, grève de la faim » (110), l’aînée des sœurs PAPIN est entrée dans un processus d’enfermement (129) et d’autodestruction. Alimentée par injection de sérum (138) et désormais sans réaction, comme absente d’elle-même (132), elle meurt le 18/05/1937 à l’asile de St. Méen où elle a été internée (143).
A la fin de sa peine en 1943, Léa quant à elle, vivra sagement son incarcération jusqu’en 1943, avant de retourner vivre avec sa mère à Nantes, travaillant comme bonne dans un hôtel ou couturière sous un nom d’emprunt (149).
Victimes du monde bourgeois ou d’une mère abusive ?
Finalement, il semble que, plus les Sœurs se taisent (115), plus leur histoire provoque de réactions :
- Le crime fascine Surréalistes et Existentialistes
- « L’Humanité » comme de nombreux intellectuels cristallisent sur ce fait divers leur haine du bourgeois, pointant une « justice bourgeoise », un « réquisitoire de classe » (125)… Jusqu’à SARTRE et Simone de BEAUVOIR qui affirmeront de manière tout à fait ridicule : « A nos yeux, elles [Mme et Melle] LANCELIN méritaient cent fois la mort » (cf « La Force de l’âge ») (126) !
- Le fait divers met aussi sous les projecteurs la condition ancillaire ou la domesticité, bien représentée à l’époque dans la société française (34) et sur « l’enfer que vivaient ces deux domestiques dans cette famille bourgeoise » (« L’Humanité ») (124-125)
- Crime de femmes à l’encontre de femmes, c’est pourtant un jury exclusivement masculin que Maître Germaine BRIÈRE, avocate de Christine PAPIN et première femme inscrite au Barreau du Mans, va devoir essayer de convaincre
- Mais on note surtout les « lacunes et les erreurs du rapport psychiatrique » (114), particulièrement choquants aujourd’hui, ainsi que le manque de soins apportés par la suite à Christine.
Et pourtant les traumatismes de l’enfance subis par les filles (abandonnées par leur mère, puis arrachées de nouveau à leurs parents d’adoption au divorce des parents), leur éducation (dans un orphelinat-maison de correction pour Christine), la mainmise de la mère sur ses filles, des maîtres sur les bonnes, la relation fusionnelle des deux sœurs expliquent en grande partie ce passage à l’acte. Assumant son acte jusqu’à s’imposer elle-même « la sentence qu’on lui avait finalement épargnée » (143), Christine « est sortie victorieuse d’un état de complète soumission », explique l’auteur (144). C’est leur détresse qu’elles ont tué ce soir-là (154). Et parlant de Christine, elle cite Jacques LACAN (dans « Motifs du crime paranoïaque : le double crime des sœurs Papin ») :
« Quel long chemin de torture elle a dû parcourir avant que l’expérience désespérée du crime la déchire de son autre soi-même […] »
La psychologie légale est peu développée jusqu’à la réforme du Code de Procédure pénale de 1958 et à l’époque de l’Affaire PAPIN, la psychanalyse n’en est qu’à ses débuts. Dans des établissements tel que celui où Christine finira sa vie, elle ne sera utilisée qu’à partir de 1950.
« Trop tôt internée par rapport à ces découvertes, Christine PAPIN ne bénéficiera pas de ce type de soins », note l’auteur Sophie DARBLADE (139).
Peu de faits et de documents relatifs au crime lui-même et au procès et, à l’inverse, un héritage critique et artistique large et varié (psychanalyse, littérature, films de cinéma…), on regrette dans cet ouvrage de Sophie DARBLADE, à l’inverse de son « Affaire BESNARD » précédemment chroniqué sur LeMag.sktv beaucoup d’encadrés inutiles (histoire locale, biographies, procédure criminelle…) et des analyses plus ou moins bien maîtrisées.
En Savoir plus :
- Acheter le livre « L’Affaire Papin » de Sophie Darblade (Paris, Ed. De Vecchi, 2000)
Le livre n’est peut-être pas très maîtrisé, par contre ton article l’est ! Bravo pour cette analyse 🙂 L’affaire Papin je la connais à travers le film de Jean-Pierre Denis, Les Blessures Assassines que j’avais beaucoup aimé. Sylvie Testud y est grandiose.
C’est gentil ! Oui, j’ai été un peu déçue, parce que son « Marie Besnard » (l’empoisonneuse) était excellent ! Ces pauvres filles ont vraiment « dégusté » toute leur vie et sont nées à une période charnière qui ne leur a rien valu de bon. J’ai aimé en apprendre plus sur leur passé, qui explique tout -ou presque !- assez facilement finalement. Merci d’être passée !!