La bataille des experts…
Née Marie Joséphine Philippine DAVAILLAUD, Marie BESNARD voit le jour en 1896 dans la ferme de ses parents, à Saint-Pierre-de-Maillé dans la Vienne (86).
Les trois « A » : « Amour, Argent, Arsenic »*…
Dès le début, sa vie est marquée par le deuil : un premier amoureux qui meurt au front avant de l’épouser, puis son cousin germain, Auguste, qui la laisse veuve à 31 ans en 1927.
Enfin, c’est la rencontre en 1928 avec Léon Besnard, commerçant, qui l’épouse un an plus tard. Le couple s’installe dans la petite ville de Loudun, ((à xxx km de Poitiers)) qui compte alors environ 5.000 habitants.
La situation financière des époux fait jaser et si Marie se montre dévouée et secourable, les commérages, eux, vont bon train, pour se déchaîner à la mort du mari en 1947 :
« Justement, elle éloigne ainsi les soupçons… Je vous le dis, elle n’aime que l’argent. Plus elle en a, plus elle en veut » (p.36)
Soupçonnée d’entretenir une relation extraconjugale avec son ouvrier agricole, un ex prisonnier allemand de 24 ans (p.23), d’avoir empoisonné son mari après l’avoir un temps partagé avec son amie la postière Louise Pintou (pp.28-29), d’avoir mis le feu au Château de Montpensier pour se venger de l’accusation d’assassinat lancée contre elle par l’un des propriétaires (p.37), elle est aussi suspectée d’être l’auteur, en 1946, de nombreuses lettres anonymes – qui seront analysées par Edmond Locard (p.40) -, et de pas moins de 12 autres meurtres entre 1938 et 1949, dont celui de sa mère, dont elle était pourtant très proche.
« En vingt ans, 13 meurtres, c’est beaucoup trop », commente une commerçante de Loudun, citée à la fin du livre (p..151).
D’autant qu’à chaque décès, Marie hérite, directement ou indirectement… (pp.40-41)
Sur les témoignages de la postière et du châtelain, la police de Limoges ouvre alors une enquête : exhumation du corps de Léon, interrogatoires de Marie et de l’ouvrier agricole…
L’autopsie effectuée par le très réputé Dr. Béroud, Directeur du laboratoire de criminologie de Marseille, ayant révélé la présence d’une dose supérieure à la normale d’arsenic (19 milligrammes) prouvant l’empoisonnement (p.50), Marie Besnard est officiellement inculpée et emprisonnée, embarquée dans un procès à rebondissements multiples dont elle ne ressortira que 12 ans plus tard… acquittée !
Que s’est-il donc passé entre le 21 juillet 1949, date de l’arrestation de Marie BESNARD, et le 12 décembre 1961, où les jurés répondent négativement aux 11 questions qui leur ont été posées concernant sa culpabilité dans 11 cas retenus d’empoisonnement ayant abouti à la mort ?
Le procès des experts…
Car finalement, ce que raconte le livre de Sophie DARBLADE « L’Affaire Besnard » (coll. Grands Procès, aux Editions De Vecchi), c’est moins les éléments prouvant la culpabilité ou l’innocence de Marie BESNARD – serial empoisonneuse ou victime de la rumeur publique dans une petite ville de province ? -, que l’incroyable et rocambolesque bataille d’experts, pendant le temps du procès, qui conduira à pas moins de 2 renvois pour nouvelles expertises, 23 exhumations et ré-exhumations et d’innombrables dosages d’arsenic, dans les corps mais aussi dans la terre des cimetières, jusqu’à ce que nos bons experts – et le procureur-général lui-même – décident de s’en remettre, en 1961, « à la très haute sagesse des jurés » ! (p.130)
Possibles erreurs sur l’identité des cadavres prélevés, sur l’étiquetage des prélèvements, le nombre de bocaux expédiés et réceptionnés, fiches de laboratoire confuses, le travail des légistes et des toxicologues, considéré à l’époque du premier procès comme « infaillible » par le juge d’instruction lui-même (p.50), est mis à mal par la défense, à tel point que le procès de « l’empoisonneuse de Loudun » tourne au procès des experts ! Plusieurs y verront leur renommée et leur carrière s’effondrer en même temps que leur témoignage (p.81, 122).
Un tel cafouillage ne se produirait pas dans un épisode de nos « Experts » !
Parallèlement à ça, Marie B. est défendue, – à l’américaine, dirait-on ! -, par 4 avocats qui :
- Ont eu 2 ans ½ pour préparer sa défense (p.71)
- Se sont répartis les tâches pour une efficacité maximale (p.128)
- Et n’ont pas hésité à enfiler la blouse de laboratoire pour « démonter le dossier scientifique » et « détrôner la toute-puissance des experts dans les prétoires » (p.132).
Conséquence de ce procès historique long de 12 ans, le Code de procédure pénale de 1958 instaure le principe de l’expert unique et oblige désormais le juge à exprimer son refus de contre-expertise, de complément d’expertise ou de désignation de plusieurs experts non par une lettre mais pas une ordonnance motivée susceptible d’appel de la part des parties qui en ont fait la demande (pp.161-163).
Le mot de la fin revient tout de même à Marie BESNARD, qui traversa tout le 20ème siècle dans les tourments, dont on ne sut jamais si elle était coupable ou innocente des 11 assassinats qui lui étaient reprochés, et mourut en 1980 à 83 ans… le jour de la St. Valentin, en léguant, ultime pied-de-nez à ses accusateurs, son corps à la science !
Si ses « Mémoires », rédigées à partir de sa remise en liberté provisoire en 1954 et publiées au printemps 1962, sont aujourd’hui épuisées, Alice Sapritch lui a prêté ses traits dans un téléfilm de 1986 écrit par le chroniqueur judiciaire Frédéric Pottecher. Et vingt ans plus tard, Muriel Robin dans « Marie Besnard, l’empoisonneuse », un téléfilm de Christian Faure diffusé sur TF1 en 2006.
De quoi se faire sa propre idée ?…
NOTES :
*Sophie Darblade, p.71
En Savoir plus :
- Acheter le livre « L’Affaire Besnard » de Sophie Darblade (Paris, Ed. De Vecchi, 1999)
- Acheter le livre de son avocate : « Marie Besnard, le procès du siècle » de Jacqueline Favreau-Colombier (Toulouse, Ed. Privat, 2000)
- Acheter le DVD du téléfilm « L’Affaire Marie Besnard » de Frédéric Pottecher, avec Alice Sapritch (1986)
- Acheter le DVD du téléfilm « Marie Besnard, l’empoisonneuse » de Christian Faure, avec Muriel Robin (2006)