« Forensics : the Anatomy of Crime » par Val McDERMID (4/4)…

200 ans de sciences médico-légales…

Quand une auteure de polars décide de partager avec ses lecteurs toutes ses notes personnelles et les connaissances médico-légales qui lui servent quotidiennement pour écrire ses histoires, on se précipite, non ?

Dernier épisode de la synthèse (en français !) de « Forensics : The Anatomy of Crime » de Val McDERMID paru en 2014.

nous nous intéressons aujourd’hui à :

10/ l’investigation numérique légale
11/ le profilage criminel
12/
et enfin, au difficile exercice du témoignage des experts au tribunal.

 

10. Investigation numérique légale ou inforensique

Quand une éducatrice spécialisée bien sous tous rapports (affaire Jane Longhurst, 211-214), une fillette de 15 ans (affaire Danielle Jones, 221-222), ou une collègue de bureau (affaire Suzanne Pilley, 222-226) disparaissent soudain sans laisser de trace et que l’enquête piétine, on peut encore :

  • saisir et analyser les ordinateurs des victimes et des suspects,
  • étudier leur activité sur internet,
  • ouvrir fichiers courants et même « supprimés »,
  • retracer leurs déplacements grâce à leur téléphone portable qui se connecte automatiquement à l’antenne-relais la plus proche
  • lire leurs textos…
  • récupérer leur position d’après les métadonnées des photos ou vidéos numériques présentes sur un disque dur ou postées sur les réseaux sociaux…
  • etc.

C’est cette spécialité particulière qu’on appelle en anglais « digital forensics », en français : criminalistique informatique, investigation numérique légale, informatique légale et même « inforensique ».

Le mot « forensic computing » ou “informatique légale” a été inventé  en 1992 pour désigner toute information récupérée dans un ordinateur utilisée dans le cadre d’une investigation criminelle (220).

Au Royaume-Uni, la première British National Hi-Tech Crime Unit est créée en 2001 pour s’attaquer à la cybercriminalité, du simple harcèlement au hacking ou à la pédophilie en ligne (216) et remplacée par des unités régionales dès 2006.

Dans l’affaire Suzanne Pilley en 2012, l’utilisation jugée anormale et suspecte de son téléphone portable suffira à faire condamner David Gilroy pour meurtre même en l’absence de corps (224-225)

Le développement récent du « cloud computing », permettant notamment de synchroniser ses infos personnelles sur différents matériels et/ou applications rend plus difficile le travail des « forensic digital analysts » ou analystes forensiques.


Service anti cybercriminalité de la Gendarmerie française – © Christophe Auffray/ZDNet
En déplacement, le téléphone portable se connecte à l’antenne-relais la plus proche… – ©JYLPPY
FBI Computer Forensics Labs ©FBI

11. Profilage criminel

Les Serial Killers sont-ils responsables de leurs actes ?

Selon toute vraisemblance, le tout premier profilage criminel date de 1888, lorsque la police britannique, sur les dents, demande au Dr Thomas Bond, d’évaluer les capacités en chirurgie de Jack l’Eventreur (240)

En 1943, le psychiatre américain Walter Langer établit le profil d’Adolf Hitler à la demande du US Office of Strategic Services, tandis que le psychologue Lionel Haward de la Royal Air Force dresse le profil des criminels de guerre nazis (241). Mais c’est sans aucun doute le profilage de Georges Metesky, alias « The Mad Bomber of New-York », qui terrorise la ville, en posant 33 bombes sur 16 ans, de 1940 à 1957, qui marquera le plus les esprits et donnera réellement naissance à cette tradition américaine des « profilers ».

Voici en effet le portrait on ne peut plus détaillé – jusqu’à la coupe du costume qu’il est censé porter le jour de son arrestation ! – qu’établit de lui le Dr James Brussel, Commissaire Adjoint à la Santé mentale de l’Etat de New-York :

Val McDERMID résume : « Brussel pensait que le Mad Bomber était sans doute un mécanicien qualifié, d’origine slave, catholique fervent ; qu’il vivait dans le Connecticut, était âgé de plus de 40 ans, propre et soigné, rasé de près, célibataire et peut-être même puceau, tant ses « w » manuscrits ressemblaient à une paire de seins » (!). « Il n’aurait donc jamais dépassé le stade œdipien, et vivrait auprès d’une figure maternelle, peut-être une parente plus âgée. Brussel pensait que le poseur de bombes souffrait de paranoïa et il termina son rapport avec ce qui ressemblait fort à une prédiction : quand on l’arrêterait, il porterait un costume croisé fermé jusqu’au dernier bouton. » (243)

De fait, quand la police vient l’arrêter au domicile qu’il partage avec ses deux sœurs,  le 21 janvier 1957 dans le Connecticut, Metesky est en pyjama. Mais il demande à pouvoir s’habiller et réapparaît… dans un costume croisé ! (244)

Dès 1977, des cours de profilage sont mis en place par Howard Teton à Quantico (245). Des milliers d’heures d’entretiens menés en prison par les agents du FBI auprès de tueurs et violeurs en série leur permettront d’établir 2 grands profils pour ces criminels :

“The disorganized man, who attacks victims at random, not caring who they are, murdering them sloppily, and leaving forensic traces ; and the organised man, whose victims fulfill a specific personal fantasy. He takes his time with them, and rarely leaves forensic traces.” (245) / “Le tueur désorganisé qui attaque ses victimes au hasard, sans préférence, les tue de manière désordonnée en laissant des preuves et le tueur organisé, dont les victimes répondent à des fantasmes particuliers. Ce tueur-là prend tout son temps et laisse rarement de traces » (245)

Côté fiction, Val McDERMID considère que « Le Silence des Agneaux » et le personnage d’Hannibal Lecter créé par Thomas HARRIS marquent un véritable tournant, le psychologue judiciaire ou « forensic psychologist » constituant, selon elle, le personnage de roman idéal (246-247). Pour son héros Tony Hill, psychologue clinicien et profileur criminel, Val McDERMID s’est basée sur l’expérience du Dr. Mike BERRY, de l’hôpital psychiatrique de haute sécurité de Broadmoor. (250-251)

Au Royaume-Uni, c’est la réussite de David Canter dans l’affaire du « Railway Rapist » John Duffy – un violeur et tueur en série qui opérait de nuit à Londres entre 1982 et 1988 et toujours à proximité de voies de chemin de fer, (247-249), qui instaurera le profilage criminel comme méthode d’enquête (248). Canter développera notamment le « profilage géographique » (249).

Pour être utile, le profilage criminel doit avant tout viser à réduire le nombre des suspects potentiels, note Val McDERMID (259).

Le Saviez-Vous ? 85% des « forensic psychologists » sont des femmes (262)


George Metesky, Mad Bomber of New-York, portait un costume croisé quand il a été arrête, comme le profiler Dr James Brussel l’avait prévu !
Peter Kürten, alias le Vampire de Dûsseldorf : bien sous tous rapports !
« Le Silence des Agneaux » de Thomas Harris, publié en 1988

12. L’expert au tribunal

Débusquer les criminels, accumuler les preuves contre eux, c’est la mission des experts médico-légaux, chacun dans leur spécialité. Mais ils doivent encore déposer au tribunal, et même défendre la validité de leurs preuves face à des avocats prêts à tout pour défendre leurs clients…

“If it suits the lawyer’s narrative, they will undermine first a scientist’s testimony and then their good name” (263) / “Si cela les arrange, commente Fiona RAITT, une avocate devenue “Professeur(e) de Preuves et de Justice sociale”, interviewée par Val McDERMID, ils commenceront par saper votre témoignage, avant de s’en prendre à votre réputation” (263)

Lors d’un procès, la mission des experts ne consiste pas seulement à exposer leurs arguments d’experts, mais aussi à les faire comprendre aux jurés et à répondre aux questions qui leur sont posées, même si ce ne sont pas les bonnes ! (271-272).

Un expert muni de titres ronflants, doté d’une autorité naturelle ou très charismatique risque ainsi de faire pencher la balance du mauvais côté, comme en son temps le légiste Bernard Spilsbury dont Val McDERMID évoque la carrière au début du livre (67-78) ou comme le Pr. Roy Meadow, pédiatre spécialiste de la maltraitance, qui fit condamner Sally Clark pour le meurtre de deux de ses bébés sur la foi de statistiques erronées concernant la mort subite du nourrisson. Lavée de ces accusations et libérée en 2003 après son second procès en appel, Sally Clark mourut d’une intoxication alcoolique aigüe début 2007. (275)

Plus largement, c’est la nature accusatoire du système judiciaire anglo-saxon qui est en cause, note Val McDERMID, citant l’exemple du procès O.J. Simpson de 1995, dont l’accusé n’est sorti libre que grâce aux $10 millions consacrés à mettre sur pied une véritable « dream team » d’avocats (283-285). Aux Etats-Unis, avance Val McDERMID, « les avocats et les experts judiciaires les plus compétents vendent leurs services au plus offrant » :

“Even more than in the UK, competent lawyers and experts in American courts go to the highest bidder ». (285)

Et elle cite Clive Stafford-Smith, fondateur de l’organisation Reprieve pour la défense des droits de l’homme et contre la peine de mort :

« Capital punishment means those without the capital get the punishment. »/ “La signification du mot “peine capitale” est que ceux qui n’ont pas de capital auront la peine.” (286)

Avant de conclure par cette formule :

“The courtroom is the anvil on which scientific evidence is struck” / « Le tribunal est l’enclume sur laquelle sont forgées les preuves scientifiques » (292)

Et de rêver à ce que serait devenu le mystère Jack l’Eventreur entre les mains de ces experts, si les sciences médico-légales avaient existé 200 ans plus tôt !


Sally Clark fait la une du Daily Mail à sa mort en 2007
O.J. Simpson à l’annonce du verdict de non-culpabilité en 1995 ©Myung Chun
Clive Stafford Smith, avocat britannique fondateur de l’organisation Reprieve contre la peine de mort ©Ambra Vernuccio

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Nous voilà à la fin de ce long feuilleton proposé par la romancière écossaise Val McDERMID sur l’incroyable développement et les progrès des sciences médico-légales au cours des 200 dernières années.

Mon article, évidemment, n’est qu’une synthèse – et une traduction – des faits et informations choisis par l’auteure pour illustrer ce thème ; les dates, notamment, et l’orthographe de certains noms sont celles qu’elle a retenues dans son livre.

C’est un livre passionnant, tant d’un point de vue informatif que parce que la patte de l’écrivain de polars s’y sent un peu partout, ne résistant pas à illustrer son propos des grandes affaires criminelles qui ont marqué chacune des disciplines et rendant ces récits extrêmement attachants.

C’est aussi un très bon ouvrage de vulgarisation sur les sciences médico-légales, fournissant en particulier quelques pistes bibliographiques pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans un domaine ou un autre. J’ai assez envie pour ma part d’en lire plus sur l’utilisation du poison au 19ème siècle, par exemple, en lisant le livre de James Whorton « The Arsenic Century ») ou encore le témoignage de l’anthropologue judiciaire Mary Manheim qu’elle raconte dans 3 livres : « The Bone Lady : Life as a Forensic Anthropologist », « Bone Remains » ou « Trial of Bones » (non traduits).

Avez-vous découvert des choses que vous ignoriez sur les sciences forensiques et le récit de Val McDERMID vous a-t-il donné envie de poursuivre ? Racontez !

En Savoir plus :

 

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