Clyde Phillips (« Dexter ») sur l’écriture de la série…

Clyde Phillips au Festival Séries Mania

(c) Philippe Leroyer / Flickr

Deuxième partie de notre article sur la rencontre avec Clyde Phillips (« Dexter ») au Premier Festival Séries Mania, le 8 avril 2010, au Forum des Images à Paris.

Répondant aux questions de P. Langlais, journaliste spécialisé, et à celles de la salle, Clyde Phillips évoque l’écriture de la série, le travail avec les scénaristes de la « Writers’ Room » et les défis qui attendent  la nouvelle équipe d’écriture à la veille de la 5ème saison . Clyde Phillips a quitté la série en décembre 2009.

En tant que showrunner de la série, il est aussi  à la tête de l’équipe d’écriture (Voir l’article : Clyde Phlllips (« Dexter ») sur le métier de Showrunner) et a signé 4 épisodes en tant que scénariste (1 épisode par saison !) :

  • 1X02 : les larmes du crocodile
  • 2X02 : faire le deuil
  • 3X01 : Notre Père
  • 4X01 : Morphée contre Trinité

NB : les transcriptions ont été réalisées à partir des traductions simultanées réalisées pendant l’événement  par des interprètes. N’hésitez pas à nous signaler toute inexactitude.

Sur l’écriture de la série « Dexter »…

Showrunner, scenariste et à la tête de l’équipe d’écriture
  • Le showrunner, c’est celui qui fait tout, qui rassemble tout, qui embauche tout le personnel, les scénaristes, qui prend toutes les décisions, qui choisit tout et qui est aussi à la tête de l’équipe d’écriture.
  • En même temps je devais embaucher les scénaristes. […] On lisait des centaines de scenarii. C’était un pilote, tout le monde voulait travailler sur cette série. L’industrie traversait une période difficile, il y avait moins de travail. On avait de supers scénaristes au choix !
Etape par étape/arcs narratifs
  • La 1ère année, on savait plus ou moins qui était le « big bad guy » ou le gros méchant, parce qu’on le voit dans le pilote et c’est inspiré du roman, c’est un tueur qui s’avère être le frère de Dexter. C’était l’intrigue pour la 1ère année […]. Une fois finie l’écriture de la première année, on s’est dit : si la série continue, qu’est-ce qu’on fait ? Et on savait pour la 2ème année, que les corps que Dexter jette dans le port seraient découverts par des plongeurs sous-marins. Que se passera-t-il pour Dexter si le FBI s’en mêle ? […] Pour la 3ème année, on ne savait pas, pour la 4ème année, on savait [au public : bouchez-vous les oreilles !]… A la fin de la 3ème année on savait que Dexter allait se marier et que sa femme est enceinte. Donc, il allait y avoir un bébé dans la 4ème saison et qu’il allait falloir gérer ça.
  • Le thème de la 2ème saison, c’était le Bien contre le Mal, et il rencontre cette femme qui est une junkie [NDLR le personnage de Lila] et on peut voir, à son contact, sa véritable personne. Et on voit là que Dexter a de la bonté en lui. Ce qu’il vient juste de dire là dans l’extrait, c’est qu’il a terminé cette histoire entre le Bien et le Mal.
  • On a évidemment une vision globale de l’ensemble de la saison, et il faut maintenir la direction des 12 épisodes annuels.
In the writers’ room…
  • « Une fois que les scenarii sont écrits, entre février et fin mai, en juin on commence à tourner. J’arrive le premier à 6h00 du matin, les autres arrivent à 10h00. Donc j’ai 4h d’écriture, de réécriture, ou je lis des scenarios, ce qu’il faut… »
  • [A la question est-il bon, est-il méchant ?] Personne n’a la réponse. Nous ne l’avons pas et nous nous asseyons dans cette pièce, tous ensemble, des gens très intelligents et moi, et nous avons des discussions sans fin
  • Il y a 8 scénaristes dont moi. Au début, j’ai amené deux amis,  c’était important pour moi, j’avais besoin de me sentir soutenu […]. Et puis après, on a des boîtes et des boîtes et des boîtes et des boîtes de scenarios. Des gens vous les envoient… Il yen a qui vous disent : faut que tu lises ça, sinon, j’arrêterai de te parler… Si j’ai une relation particulière avec un agent ou avec un auteur, je vais lire le scenario ou quelqu’un de mon équipe va le faire et puis me dira ce qu’il faut que je lise. Généralement après dix pages de scénario je me suis fait une idée. C’était des spec scripts [NDLR Speculative Scripts, scénarios pour des séries existantes, servant à un scénariste à se « vendre »], c’était vraiment des formules appliquées, ça manquait tellement d’originalité que ça ne collait pas avec la profondeur des personnages qu’on voulait trouver.
  • Quand les scénaristes arrivent, ils ont très peur […], parce que c’est pas facile d’écrire pour Dexter ! Quand j’ai travaillé pour « Boomtown » pour rentrer dans l’équipe des scénaristes, j’étais vraiment terrifié à mort, j’avais peur des gens qui étaient là, et puis « Boomtown », c’était vraiment une série très difficile. Et c’est un processus long d’apprendre. Si vous êtes intelligent, vous posez des tas de questions, vous faites des erreurs bien sûr, mais jamais deux fois les mêmes, et puis vous trouvez votre place, vous trouvez le flux.
  • « Le travail de tout le monde sur cette série est de faire en sorte que ce soit toujours mieux […]. On a une petite réunion privée supplémentaire et on dit : comment on va faire tomber cet arbre ? Comment on va sortir cette mort de l’ordinaire, comment on va faire la différence, comment on va gérer l’accident de voiture ?… et à chaque fois, le maître-mot, c’est de faire mieux que sur le papier. »
Garder la ligne directrice
  • C’est une série avec 8 ou 9 comédiens qui ont une super formation et qui ont vraiment bien joué, mais la série s’appelle « Dexter » et s’il n’est pas dans le plan, on sent qu’il manque et très souvent on écrit des sous–intrigues, par exemple avec Batista dans la première saison et on a tout coupé… la visite de sa fille, on l’a montrée et puis on l’a coupée, parce qu’il fallait plus de temps sur Dexter. C’est lui qui est le plus important et c’est lui qui fait marcher la série. Pour les autres comédiens, ils sont très généreux. Ils sont mécontents de voir que leurs scènes sont coupées et qu’on reste sur Michael C Hall. Mais ça s’appelle pas « Masuka » ou « Battista », la série, ça s’appelle « Dexter ». Michael et Debra, il faut rester sur eux le plus possible. Je suis certain que nous avons commis plus erreurs, mais la plupart n’arrive pas jusqu’à l’écran.
  • [A la question travaillez-vous avec des consultants ?]
  • Nous avons dans l’équipe des spécialistes de taches de sang, un médecin, un policier et un avocat pour toutes les questions de médecine légale, pour l’enquête… Personnellement, je n’aime pas faire des recherches, mais mes auteurs le font. Bien évidemment tout est fondé sur la réalité. Mais une fois qu’on a fait les recherches, qu’est-ce qu’on va faire ? Si les recherches collent avec ce qu’on avait pensé, on va les utiliser, bien sûr. Mais le plus important, c’est quand même un bon dialogue. Et si la recherche ne colle pas avec ce qui est le plus dramatique, on choisira ce qui sera le plus dramatique, ce qui fonctionnera le mieux […]. On ne fait pas un documentaire […]. On fait du spectacle. C’est un show, pas un documentaire.
Faire évoluer le personnage / les limites d’une série
  • On a réalisé que si Dexter restait aussi blessé et aussi extérieur, s’il devait ne pas évoluer, ça voulait dire qu’on ne faisait pas bien notre boulot en tant que scénaristes.
  • [L’Image de la cafetière]
  • Ses émotions sont complètement en train de bouillonner comme une cafetière française [NDLR une cafetière à piston]… Les bulles remontent. Un petit secret que je vous révèle : dans le générique, quand il se rase, qu’il prend son petit-déjeuner, on utilise cette espèce de cafetière, on a un plan sur ces bulles, c’est un peu comme une blague entre nous…
  • S’il devient complètement humain, la douleur de ses actes va devenir trop forte, donc il va se mettre à échouer.
  • Mais comme il devient de plus en plus humain, évidemment, sa situation devient de plus en plus difficile, fragile.
  • Année après année, de plus en plus de petites bulles de sensibilité, comme je disais tout à l’heure, remontent. Et effectivement on va vers son humanisation et on va approcher un point où il faudra que ça s’arrête. Mon idée, c’est que ça va arriver, mais que personne ne sait, personne parmi l’équipe ne sait à quel moment ça va se passer. Dans les Sopranos, il y a eu quelque chose de similaire. Une série comme celle-ci a de manière naturelle un moment où ça va devenir mauvais, un moment où les histoires deviennent pleines de compromis et les scénaristes ne peuvent plus rendre un travail qui est bon, parce que la série est devenue une espèce d’énorme bâtiment qui va s’effondrer…

 

Se mettre en danger…
  • C’est intéressant, parce qu’on sait que [Dexter] ne peut pas être pris, on ne peut pas l’attraper. S’il est attrapé pour de vrai, c’est la fin, hein ! On n’a plus de série, c’est fini ! Alors comment garder l’intérêt ? Il faut s’approcher du moment où il est presque piégé.
  • On sait qu’il ne va pas perdre, mais on est obligé, nous, de faire en sorte que ça soit aussi surprenant et passionnant que possible. Comme la  dernière scène du dernier épisode de la quatrième saison  – donc, je ne veux pas révéler le secret -, mais on se pose ces défis, on se piège exprès, tout le temps. On reste dans la cellule des journées entières : « Si on fait ça, on est baisés… Alors, faisons ça ! » et on verra comment on s’en sort, et c’est comme ça qu’on travaille, hein. Parce que si on nefaisait pas ça, ça ressemblerait à toutes les autres séries.

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