Un père enquête sur un réseau pédophile…
On le sait tous, savoir écrire ou raconter une histoire n’est pas donné à tout le monde (hé non, même pas !)… Patrick Bauwen, dont c’est ici le deuxième roman, sait sans aucun doute écrire, accrocher son lecteur dès le premier chapitre – « Parce que, au final, tout va dépendre de vous », écrit-il (p.12) – et nous faire caracoler ensuite de chapitre en chapitre, avides de découvrir la suite….
Si l’on regrette un peu le titre en anglais : « Monster », l’action se situant en Floride, on se dit qu’après tout, s’il préfère appeler ses personnages « Connie », « Cam » (Cameron) ou Sheila, c’est son choix !
Tous les éléments du thriller sont réunis : un héros – ici, presqu’un anti-héros, d’ailleurs ! – dont la vie bien rangée dans une banlieue de Miami Beach (une femme, un garçon de 6 ans, un travail de nuit très prenant, puisqu’il est médecin, comme l’auteur) bascule tout à coup, parce qu’il se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment :
« En vérité, je ne comprends pas vraiment comment tout cela a pu se produire, comment mon existence entière a pu basculer en moins d’une semaine simplement parce que j’ai décroché le mauvais téléphone » (p. 355)
Et voilà le Dr. Paul Becker accusé du pire, rejeté par sa femme, soupçonné par ses amis, traqué par la police, obligé de se cacher dans les bas-fonds de Miami pour mener seul une enquête complexe et dangereuse sur un réseau pédophile…
Collectionneuse de citations, j’ai récolté un certain nombre de trouvailles plaisantes, qui montrent bien la manière dont l’écriture de Patrick Bauwen séduit et emporte l’imagination.
Il y a par exemple l’enquête et le danger qui renvoient les deux copains Paul (le médecin) et Cameron (le flic) à leur enfance commune :
« Les X-men se serrent les coudes, pas vrai ? – ils se serrent les coudes » (p.25)
« Wolverine et Cyclope contre le reste du monde » (p.133),
la rencontre avec un véritable psychopathe, dont l’âge mental n’est guère plus élevé et la vision du monde effrayante :
« Je te tues, tu me tues, par la barbichette » (p.490),
une situation, enfin, qui permet d’articuler les doutes de l’âge adulte :
« La vérité est qu’on peut parfaitement se passer d’un père, surtout d’un père criminel » (p.48)
« le chaos de nos vies est incontrôlable, mais on a tous besoin de croire qu’on le maîtrise » (p.217)
« Le Roi Blanc contre le Roi Noir. A moins que nous ne soyons que des pions, qu’en penses-tu, Paul ? » (p.327)
« Qui peut prétendre connaître son meilleur ami ? ». (p.568)
Seul élément discordant dans ce concert de louanges, l’accumulation des genres : les « desperate housewives » et la recherche du père, le thriller et le jeu video fantastique, le cirque et les alligators, les freaks, les contes… De trop nombreux thèmes et inspirations qui font qu’on arrive vite à des choses ridicules, comme quand le méchant Kosh demande au gentil docteur : « Paul Becker, es-tu l’Homme de l’Au-Delà ? » (p.328) Ridicule…
Super… aux 2/3 !
Bref, comme on l’a dit précédemment, les 2/3 au moins de ce gros livre de 574 pages se lisent avec enthousiasme et l’on se dit que, décidément, on va passer un bon moment…
Alors qu’est ce qui fait que les 150 dernières pages, en gros la 3ème partie est, on peut le dire, ratée ?
C’est qu’écrire un polar, c’est beaucoup plus qu’écrire ou simplement raconter une histoire. Le polar a besoin de coupables, d’imagination tordue, de timing, autant que de vraisemblance et de maîtrise.
C’est certainement là que se joue le talent d’un auteur de thriller ou de polar, dans la capacité de nouer des fils « dans le dos du lecteur », sans que celui-ci s’en doute. Sans que les fils soient visibles. Sans qu’il soit besoin, surtout, d’accumuler cadavres, coups de théâtre et révélations pour venir à bout du récit.
Patrick Bauwen perd nettement toute la maîtrise de son roman dans la 3ème partie, lorsqu’il tente de refermer l’intrigue.
Son personnage de toubib, d’anti héros très humain qui, jusqu’à la page 375, « ne [sait] pas comment réagir », se transforme soudain en brute épaisse, brisant des tibias à coups de cric dans un motel minable (p.421), fixant des scalpels sous ses semelles et des seringues de calmants sur son torse (p.537) – et encore, j’oubliais le téléphone portable entre les omoplates (pratique pour appeler au secours !)… (p.557) Lui qui est nul en informatique et nouvelles technologies se révèle incroyablement fort pour identifier les vidéos truquées. Plus fort que le FBI !
Le personnage du méchant qu’on trouvait effectivement un peu pâle, un peu léger, se trouve affublé in extremis d’un double féminin, ex-sorcière mythique de l’Est revenue aux affaires grâce à une opération de chirurgie esthétique aussi peu crédible que celle de Chéri-Bibi… Enfin, les morts ne sont pas morts, et les cadavres interchangeables. Notez, greffier ! Même la maîtresse d’école était dans le coup !
Le grand n’importe quoi ! Méfiez-vous donc des fantasmes ordinaires des médecins urgentistes, je vous le recommande !…. Car on n’est plus à une invraisemblance près, quand les infirmières pointent au FBI !
Mais puisque les 2 premiers tiers du livre sont si bien écrits, et si convaincants, la conclusion vient d’elle-même : encore un effort et on y sera !
Avez-vous lu « Seul à savoir », le 3ème roman de Patrick Bauwen, sorti en septembre 2010 ?
En Savoir plus :
- Acheter le livre « Monster » de Patrick Bauwen – Paris, Albin Michel, 2009
- Le site officiel de Patrick Bauwen