J’ai lu Kathy Reichs, la maman de « Bones »… Enfin, pas tout… Juste « Meurtres au Scalpel », 9ème roman de la série consacrée par la célèbre anthropologue judiciaire Kathy REICHS à Temperance Brennan, le personnage qui a inspiré la série « Bones ».
Sorti en France en 2008, « Meurtres au Scalpel » (titre original : « Break no Bones ») suit la scientifique sur un chantier de fouilles archéologiques organisé pour ses étudiants à Charleston, en Caroline du Sud, sur :
« Un site funéraire datant d’avant Christophe Colomb » (20).
Quand un premier squelette « récent » est découvert sur le chantier, puis un détective pendu dans un bois (112) et, pour finir, une femme et un chat, enfermés dans un baril échoué sur une plage (251-255), l’anthropologue légiste décide d’apporter son concours à son amie la coroner. D’autant que le détective retrouvé pendu est lié à une enquête pour disparition dans l’entourage d’une secte sur laquelle l’ex-mari de Brennan, avocat, doit travailler.
Un même sillon sur le cou de « L’inconnu de l’île, l‘homme dans l‘arbre » et « [la] femme dans le baril » (252) révèle que les trois ont été étranglés (259-260). Malgré leurs différences, les affaires auraient-elles un lien ?
Rien à voir avec « Bones »…
Les fans de l’inadaptée sociale Temperance Brennan et du côté choral de la série télé, qui associe les compétences variées de l’équipe du Jefferson Institute à celles du FBI, seront déçus. Chez Reichs, Temperance Brennan enquête seule et très loin de Washington, dans un haut-lieu du Sud colonial à la culture très marquée : Charleston avec ses majestueuses demeures historiques aux vérandas fleuries, ses délicieuses vieilles dames et leur accent traînant.
Enseignante en anthropologie légale à la fac de l’UNCC (Université de Caroline du Nord), Temperance travaille aussi comme consultante pour le bureau du Directeur de la Santé à Charlotte ou le Laboratoire de Sciences judiciaires de Montréal (12). Séparée (mais pas divorcée) de son mari Peter, elle a une fille Kathy, étudiante à la fac et son nouvel ami Andrew Ryan est flic à la Sûreté du Québec (45).
Mises à part ses compétences scientifiques et son côté garçon manqué, n’hésitant pas à se jeter à l’eau – au sens propre – même lorsqu’elle est infestée d’alligators (239), on a un peu de mal à reconnaître « Tempe », coincée entre ses deux hommes (339) et essayant d’aider autant qu’elle le peut son amie, atteinte d’un cancer…
« Trucs » d’écriture….
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Le ton….
C’est Temperance qui raconte. A la première personne, et dans un langage plutôt familier, voire fleuri (celui que je préfère dans la vraie vie) :
« J’avais vingt étudiants sous ma houlette.
Et un journaliste sur le dos.
Qui plus est, doté d’un QI de plancton ! » (9)
C’est la bonne surprise des premières pages, avec des dialogues du tac au tac, de l’humour et du répondant, pas dénué d’agressivité quand elle essaie de se débarrasser d’un journaliste fouineur :
« Nom ? a demandé Winborne sur le ton qu’il aurait pris pour se renseigner sur une graine de gazon.
J’ai bien failli le planter là. Je me suis retenue. Mieux valait lui offrir cette menue satisfaction pour éviter qu’il ne s’incruste. Avec un peu de chance, il tomberait raide mort en entendant mon nom.
– Temperance Brennan.
– Temperance ? a-t-il répété, amusé.
– Oui, Homer.
Il a haussé les épaules.
– C’est pas courant.
– On m’appelle Tempe.
– Comme la ville de l’Utah ?
– D’Arizona » (13)
Temperance nous livre même quelques-uns de ses trucs de pro pour se débarrasser des inopportuns :
« Ma coupe était pleine. Il était temps que je déverse sur la tête de ce con mes talents de journalists killer.
Comprendre : que je le noie sous le jargon.
– Les pratiques funéraires des populations indigènes de la côte sud-est nous demeurent mal connues […] » (14)
Mais la magie ne dure pas quand « la vanne pour la vanne » s’installe et alourdit les dialogues :
« Toi alors ! Tu es plus insistante qu’une réclame sur Yahoo ! » (197)
C’est ça ou alors la traduction ?
« C’est bien ainsi qu’on définit le sentiment « tripal », non ? » , dit-elle à Ryan pour parler de son intuition. (306)
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« Tics » d’écriture….
Il y a énormément de noms et de personnages dans le livre : le promoteur, le shérif, le journaliste, le révérend de la secte, le médecin de la clinique, l’infirmier, etc., sans compter la longue liste des disparus (367-368). Kathy REICHS chercherait-elle à nous égarer ? L’histoire est donc un peu difficile à suivre et ce, d’autant qu’on a parfois du mal à saisir les dialogues, sans doute mal traduits.
Curieusement, la liste des aliments achetés par le très gastronome Peter ou la description des ébats du chat et du chien de la maison reçoivent le même traitement que les éléments de l’enquête ou les autopsies.
Kathy REICHS semble avoir appris quelques trucs d’écriture, qu’elle met en œuvre avec application, comme poser des questions (183,194, 246, 273, 497). Si encore elles servaient à résumer l’action, évaluer les enjeux, mais elles sont le plus souvent sans objet, comme lorsqu’elle s’interroge sur le contenu du baril, au lieu de l’ouvrir (246) ou cherche à pénétrer les pensées d’un cheval qui, toute la journée, promène un fiacre rempli de touristes à Charleston (273)…
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Rebondissements… dramatiques !
Pour faire de son livre un « page turner », Kathy REICHS prend aussi soin de terminer ses chapitres sur un effet dramatique, un suspense insoutenable (son amie malade qui s’effondre (103), l’annonce d’un plan d’action (114) ou d’un troisième cadavre (202) qui n’apparait que 30 pages plus tard, le suicide suspect d’un témoin (349), son mari blessé par balle dans la maison (382), son attaque sur la plage (500) et son salut in extremis (503)…
Ni discret, ni très efficace. Juste lassant à force…
Le coupable qui prend le temps de te raconter toute l’histoire et t’expliquer le pourquoi du comment avant d’appuyer sur la gâchette (ou en l’occurrence de serrer le lacet passé autour de la gorge de Temperance-la-gêneuse) m’a toujours fait sourire à la télévision ! En images ou sur le papier, c’est vraiment mauvais ! (500)
Tout comme le récit du Shérif Gullet, venu dénouer les derniers fils pour Tempe et Peter convalescent et qui ne peut, objectivement, que faire des suppositions à ce point de détail (505-516).
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Grosses ficelles
Dans les archives du détective Cruikshank récupérées dès la page 162 (sur les 533 que compte le livre !), se trouvaient déjà toutes les pistes, toutes les réponses, les recherches sur la clinique de l’Eglise de la Miséricorde divine et même un édifiant livre sur deux tueurs en série irlandais qui avaient écumé Edimbourg entre 1827 et 1828 (388-389).
La coroner Emma Rousseau a même le bon goût de quitter ce monde opportunément avant la fin du livre, qui se termine sur son enterrement (522). C’est dire !
Les meilleurs moments du livre sont….
Mais il y a tout de même de bons moments dans ce livre…
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Les récits d’autopsie
D’abord, les autopsies et leur technique particulière sur des corps très abîmés (la spécialité de l’anthropologue légal, souvenez-vous !)
Ces descriptions sont passionnantes et j’ai appris deux nouveaux mots : « calliphore », une mouche nécrophage (37) et « malacologue » ou spécialiste des mollusques (428-430) !
Car évidemment, c’est la science de l’anthropologie légale qui a scellé l’affaire et on ne peut, après tous ces efforts, que s’en réjouir :
« Il [Marshall] a été sidéré d’apprendre qu’on les avait découverts [les coquillages]. Il s’est creusé la cervelle pour imaginer dans son scénario un épisode convaincant et susceptible d’incriminer Corey Daniels ». (515)
Ce que l’ex de Temperance, Peter, résumera ainsi – avec beaucoup de classe ! : « Baisé par un mollusque, faut le faire ! » (515)
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L’évocation du métier
Autres bons moments – et je vais les citer tous pour vous éviter de recourir au livre – ceux où la légiste/anthropologue légale s’exprime à travers son personnage sur un ton personnel pour évoquer son métier :
« Mourir dans l’anonymat équivaut selon moi à subir une ultime insulte dans sa dignité d’être humain. Cela signifie passer l’éternité sous une plaque portant le nom « Inconnu ». Cela veut dire : être enseveli dans une fosse anonyme sans qu’il soit fait état de votre nom ; sans que ceux qui s’inquiètent de vous sachent ce que vous êtes devenu. C’est une offense. Si, pour ma part, je n’ai pas le pouvoir de rendre la vie à une victime, j’ai celui de lui rendre son nom. De donner à ceux qui restent la possibilité, toute relative, de faire leur deuil. En ce sens, j’aide les morts à s’exprimer, à prononcer leur dernier adieu.
Parfois même, je contribue à révéler au grand jour ce qui leur a ôté la vie » (49)
Une profession de foi déjà rencontrée, et dans les mêmes termes, dans les témoignages d’autres médecins légistes comme Dominique LECOMTE dans « Quai des Ombres » ou « La Maison du Mort », ou Michel SAPANET dans ses « Chroniques d’un Médecin légiste » …
« Sur le palier, deux portes anti-incendie en acier et une troisième, normale. Les premières devient mener aux chambres froides, l’autre donner accès à des parties plus animées de l’hôpital : urgences, obstétrique, cardio, réa. Là, les employés travaillaient sur du vivant. Nous, nous étions la face cachée de la médaille : notre matériau, c’était la mort ». (56)
Kathy REICHS réaffirme le goût des légistes pour les certitudes apportées par la science :
Temperance Brennan : « Cela faisait bien des « si » et des coïncidences. Et moi, je ne croyais pas aux coïncidences.
A quoi est-ce que je croyais ?
Aux preuves claires et nettes. Aux faits démontrés.
Problème, nous n’en avions pas ». (307)
Et écorne au passage la vision simpliste des fictions télé :
« Et un cil, par-dessus le marché ! Combien de chances y avait-il pour qu’on tombe dessus ? On dirait un scénario de télé où les flics récupèrent une unique cellule cutanée sur tout un hectare de moquette à longs poils ! » (491)
Les « Extraits des carnets personnels du Dr. Kathy Reichs » placés après l’épilogue évoquent la naissance du personnage de l’anthropologue légal dans les séries policières (et dans la vraie vie), et la différence entre « pathologistes » et « anthropologues légaux » :
« Les premiers [pathologistes] travaillent sur des tissus mous, les seconds sur les os. Un cadavre relativement intact, comme celui d’une personne décédée récemment, sera adressé à un pathologiste. En revanche, un squelette exhumé d’une tombe ancienne, un corps carbonisé retrouvé dans un baril, des fragments d’os résultant d’un passage dans une machine à équarrir le bois ou un bébé momifié découvert dans un grenier seront étudiés par un anthropologue. Et celui-ci, se fondant sur des indicateurs propres au squelette, aura pour tâche d’identifier l‘individu, de déterminer l’heure de sa mort, la façon dont elle est survenue et les dommages qu’aura éventuellement subis le corps après la mort. Bref, la médecine légale vise à résoudre par des analyses scientifiques des questions relevant du droit ». (527)
Kathy REICHS revient également sur son parcours et détaille les sources de son expérience pour les faits racontés dans le livre (529-530) :
« Pour ma part, j’ai commencé par étudier l’archéologie et me suis spécialisée en biologie du squelette. Mes premiers pas sur le terrain de l’anthropologie légale, je les ai faits à la demande d’un policier qui travaillait sur le meurtre d’une petite fille de cinq ans, kidnappée et abandonnée dans une forêt près de Charlotte, en Caroline du Nord. J’ai identifié chacun des os de cette petite fille. Mais l’odieux personnage qui l’a assassinée n’a jamais été retrouvé. L’injustice et la brutalité inhérentes à cette affaire ont bouleversé ma vie. Abandonnant à d’autres l’étude des os antiques, je me suis tournée vers les morts décédés récemment. Je ne suis jamais revenue sur mes pas ». (528)
Ecrire, c’est un métier. Un art.
Si je lis un autre des romans de la série Temperance Brennan, ce sera sûrement le tout premier : « Déjà dead »…
Et vous, avez-vous lu Kathy REICHS ? Avez-vous aimé ?
Le Saviez-Vous ? Hart Hanson, le créateur de la série « Bones » est aussi celui de la série « Le Monde de Joan ». Rien à voir avec une enquête criminelle, mais j’ai adoré cette série !
En Savoir plus :
- Acheter et lire Meurtres au Scalpel de Kathy REICHS (Ed. Pocket)
non, jamais lu !
Pas graf’, comme on dit en Bretagne… A priori, tu n’as pas perdu grand’ chose !
Non, je n’ai jamais rien lu d’elle et ton billet ne me donne pas spécialement envie de m’y mettre. Je me contenterai de tes chroniques 😉
Ouh, c’est gentil ça ! 🙂 Oui, le hasard ne fait pas forcément bien les choses, m’enfin, maintenant je sais ! Merci d’être passée…
Une chronique très fouillée et argumentée. Pour avoir lu un ou deux livres de la série je confirme que la seule chose marquante est la précision clinique des scènes d’autopsie.
Merci Delphine ! Oui, je tâcherai de ne pas oublier de prendre un bon bouquin avant de partir en week-end !!! Enfin, comme on dit : ça, c’est fait ! A bientôt, j’espère !