Quand le dandy Poirot sacrifie au « culte des vacances au bord de la mer » (8), c’est pour se reposer. Pas pour maculer ses chaussures en daim blanc (76)… Mais lâchez une vamp parmi les clients du seul hôtel de l’île et Les Vacances d’Hercule Poirot sont finies !
Isolé à marée haute, l’hôtel du Joyeux Roger dans le Devon est la dernière adresse à la mode. On se la passe entre gens biens (8) et l’on s’y retrouve entre soi (11) pour bitcher sur le dos des absents (67). Le rapprochement d’Arlena Marshall et de Patrick Redfern, venus tous deux avec leur moitié, est le centre des conversations. Quand on retrouve Arlena étranglée sous son grand chapeau vert, les langues s’agitent de plus belle. Mais qui dit la vérité et qui cherche à nous abuser dans Les Vacances d’Hercule Poirot ?
Agatha CHRISTIE met tout son art dans ce 22ème roman de la série des Poirot, nous révélant la méthode originale du petit détective belge. On en profite pour vous donner quelques conseils pour lire Agatha CHRISTIE sans trop vous faire balader… Ça peut servir !
Agatha CHRISTIE, reine du crime décomposé
Contrairement à l’adaptation télé avec David SUCHET (8×1), pas de capitaine Hastings ni d’inspecteur-chef Japp dans le roman de 1941. A la fois témoin et enquêteur, Poirot collabore avec le colonel Weston et l’inspecteur Colgate de la police du comté.
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Les Vacances d’Hercule Poirot : un Cluedo grandeur nature
Agatha CHRISTIE a réuni sur cette plage pas moins d’une douzaine de personnages, hors Poirot. Ultra typés (les Américains, la séductrice, le major des Indes, le révérend ou la créatrice de mode), ils évoquent irrésistiblement les personnages d’un Cluedo.
Pourquoi autant de personnages, de suspects sur lesquels l’auteure fait peser le doute, proposant une histoire plausible pour chacun ? C’est qu’Agatha CHRISTIE a besoin de nombreux assistants pour réussir son entreprise subversive d’enfumage du lecteur.
Dans ses romans, Agatha CHRISTIE a tous ses personnages pour complices, pour nous surprendre… ou nous faire passer pour des idiots. Son grand talent est sans nul doute de refermer soigneusement toutes les pistes ouvertes, sans en oublier aucune. Les Vacances d’Hercule Poirot prouvent une fois de plus la maîtrise parfaite qu’a l’auteur de tous les éléments du polar.
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Le crime chez Agatha CHRISTIE : une œuvre de l’esprit
Quant à l’intrigue du meurtre des Vacances d’Hercule Poirot, elle est machiavélique. En effet, l’auteur prend soin d’y intégrer les moindres détails fournis par ses « assistants », du vertige de Miss Brewster aux habitudes des uns et des autres. Ainsi invente-t-elle le fameux puzzle sur lequel nous nous escrimons comme des pauvres d’esprit !
Agatha CHRISTIE ratisse large…
N’ayant aucunement l’esprit mathématique (ni aucun don pour la géographie !), l’attention portée aux horaires et aux lieux m’insupporte souvent. J’ai particulièrement détesté Le Crime de l’Orient-Expres, par exemple, avec son schéma du wagon, le détail de qui a été vu par qui et à quel moment … La déduction comme art mathématique, très peu pour moi ! Mais évidemment, il ne s’agit pas que de ça dans Les Vacances d’Hercule Poirot. Avant tout, Agatha CHRISTIE est perverse et maligne. Elle nous a à l’usure…
La Reine du Crime invente des meurtriers aussi retors qu’elle qui blindent le moindre aspect de leur crime… Le meurtre chez elle est artificiel, il ne fait pas partie de la vie, ne peut pas être accidentel ou involontaire. C’est une construction de l’esprit.
Il faut aimer…
Pourtant, quand la romancière lâche incidemment au chapitre 2 qu’il y a effectivement eu un meurtre, on est aussitôt accroché…
On peut reprocher bien des choses à Agatha CHRISTIE, mais pas d’être malhonnête. Elle met un point d’honneur à toujours donner les deux points de vue :
Ainsi à propos de la loyauté d’Arlena :
« Ma chère enfant, vous n’avez pas le droit de dire ça. Elle fait tourner les têtes, c’est possible. Ça ne prouve pas qu’elle perde la sienne ! » (52)
Mais aussi de son mari, premier suspect évident :
« Il est du genre flegmatique. Ces gens-là font toujours mauvaise impression quand ils déposent et on n’est pas toujours juste avec eux. » (114)
Et dans la bouche de Poirot :
« On peut se comporter de façon bizarre sans être pour autant un criminel ! » (183)
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La technique des « coups de griffe » d’Agatha CHRISTIE
Agatha CHRISTIE ne semble créer ou poser un personnage que pour l’affaiblir ensuite, égratigner sa crédibilité et nous faire douter.
Dans le huis-clos pénible des Vacances d’Hercule Poirot, – la plage ! -, où chacun est observé et jugé, que penser :
- Du fidèle mari Kenneth Marshall qui retrouve son amie d’enfance dans un endroit tranquille pour évoquer le bon vieux temps ? (50) Peut-on lui faire confiance ? Surtout quand Horace Blatt lui prête « un drôle de caractère » et enjoint à Redfern de s’en méfier (62). « On ne sait jamais ce qu’il a dans la tête », commente Mme Gardener au-dessus de son tricot (83)
- Ou de ladite amie d’enfance, entrepreneuse, qui selon l’Américaine « pourrait mettre sur pied n’importe quoi !… » (157) – y compris un meurtre ? – et « est amoureuse de lui, ça se voit ! » (158)
- Même la femme de chambre hésite : selon elle, Mme Marshall «avait peur de lui »… (187)
Dans Les Vacances d’Hercule Poirot, chaque personnage est vu et commenté par les autres, révélant par là même différentes facettes…
Poirot lui-même n’échappe pas au carnage ! Après s’être amusée à ruiner ses chaussures (76, 82), Agatha CHRISTIE fait dire à Rosamund Darnley :
« Il est déjà vieux, dit-elle ensuite. Un peu gâteux, j’imagine… » (227)
Et un peu plus loin, Marshall renchérit :
« Ce type-là est complètement cinglé. » (240)
On en rit, bien sûr. Mais, plus loin, cette volée d’injures sert à nous faire croire que Darnley et Marshall sont de mèche et coupables…
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Le polar selon Agatha CHRISTIE : un puzzle aux possibilités multiples
Fidèle admiratrice des talents de Poirot, l’Américaine Mme Gardener utilise tricot et casse-têtes pour se calmer les nerfs. L’image du puzzle devient la métaphore de l’enquête dans Les Vacances d’Hercule Poirot (237, 238, 259, 260, 306) :
« Une enquête, c’est un peu comme votre « puzzle ». On réunit des pièces et on tâche de les arranger ensemble. C’est une sorte de mosaïque… On a de petits éléments de couleurs diverses et de formes variées… et, si bizarre que soit le dessin d’une pièce, il faut qu’elle trouve sa place dans l’ensemble ! […] Quelquefois, poursuivit-il, on rencontre une pièce comme celle que vous aviez tout à l’heure. On a disposé avec méthode tous les morceaux du « puzzle », on a bien trié les couleurs… et il y a une pièce qui ne veut entrer nulle part ! C’est parce qu’on croit qu’elle va dans le tapis de fourrure blanc alors qu’elle appartient au chat noir ! » (238)
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Scénars en série
A la base des Vacances d’Hercule Poirot, l’auteur de polar Agatha CHRISTIE imagine le scénario d’un crime avec tous ses points d’ancrage :
- timing,
- lieux,
- interactions (rencontres effectives ou simplement possibles avec d’autres personnages),
- mobile,
- faisabilité, etc…
et invente autant de scénarios alternatifs qui fonctionnent qu’il y a de personnages dans l’histoire. Et il y en a traditionnellement beaucoup !
Parmi les scénarios alternatifs des Vacances d’Hercule Poirot, ceux qui désignent comme coupables :
- Marshall et Miss Darnley,
- Horace Blatt et les traficants de drogue
- Le révérend
- Et même la jeune Linda, belle-fille d’Arlena.
Dans Les Vacances d’Hercule Poirot comme dans d’autres romans, l’auteure alimente ces scénarios parallèles jusqu’au dernier moment, celui de la révélation. Elle nous enfume et finit par nous exposer comme en direct le déroulement, non du scénario vrai du crime, mais du raisonnement de Poirot. Car c’est le raisonnement du détective qui l’intéresse avant tout dans Les Vacances d’Hercule Poirot. C’est avec son personnage de fin limier qu’Agatha CHRISTIE se mesure dans ses romans. Elle lui a préparé tous les pièges possibles et s’amuse à le voir cheminer vers la vérité avec une grande sûreté.
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Poirot, c’est nous, en mieux !
Poirot, c’est le lecteur, en mille fois plus intelligent ! Alors que nous sommes perdus et pataugeons lamentablement (Agatha CHRISTIE nous y aide !), Poirot, lui, semble aller tout droit à la solution. C’est pourquoi on s’attache tant à lui et à toutes ses petites manies…
Agatha CHRISTIE a inventé un modèle de puzzle à possibilités multiples. Chacun de ses polars est comme une boîte d’une dizaine de puzzles aux pièces identiques en forme et presque en dessin. Il s’agit juste de distinguer ce qui appartient au tapis de fourrure et/ou à la queue du chat. Et surtout d’arriver à imaginer qu’un chat noir peut avoir le bout de la queue blanc !
Petite note en passant sur l’excellence de la traduction de Michel LE HOUBIE, qui en plus d’être fluide est subtile. Oui, j’ai lu Les Vacances d’Hercule Poirot en français. Et vous pouvez faire de même sans arrière-pensée !
Un roman d’Agatha CHRISTIE, ce n’est pas qu’un meurtrier qui se fait démasquer. C’est aussi un lecteur qui se fait berner de bout en bout et c’est la base de son art.
7 conseils pour lire Agatha CHRISTIE
On ne peut pas – ou le peut-on vraiment ? – entrer en compétition avec Agatha CHRISTIE et tenter de découvrir l’assassin avant la révélation finale assénée par Poirot. Mais on peut tenter de s’améliorer ! C’est ce que nous vous proposons avec ces 7 conseils pour lire Agatha CHRISTIE.
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Conseil N°1 : Croisez les alibis !
On en a parlé plus haut, la précision horaire et topographique est un des gimmicks des polars d’Agatha CHRISTIE. On aime ou on n’aime pas, mais elle n’est pas sans importance pour la résolution de l’intrigue. Dans Les Vacances d’Hercule Poirot, la précision peut aller jusqu’au « chronométrage », confié par Weston à un agent de base :
« Je veux savoir combien il faut de temps pour aller, en traversant l’île, de l’hôtel au sommet de l’échelle de la Crique aux Lutins […] une fois en se promenant et une fois en courant », etc. (199)
Sur ce point, Agatha CHRISTIE vous aide en entrant d’un seul coup dans trop de détail. D’une saison estivale indéterminée (8), on passe ainsi au matin du « 25 août » (71), prélude à des alibis minutés. Or, c’est le jour du crime.
Il en est de même des tenues décrites dans Les Vacances d’Hercule Poirot. La description du chapeau vert d’Arlena (25) ou du « pyjama de plage » de Christine Redfern (75) sont des indices. Ils doivent vous alerter.
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Conseil N°2 : Surveillez les OVNIS
Comme la tasse à café volante de La Mystérieuse Affaire de Styles, les objets décrits dans Les Vacances d’Hercule Poirot sont importants. Particulièrement ceux qui ont tendance à apparaître et disparaître. C’est le cas de la pipe fumée à la fois par Marshall, Blatt et le révérend (52, 107, 208, 220). Le cas aussi de la bouteille jetée par une fenêtre et que Mme Brewster manque prendre sur la tête (80-81). Le cas enfin d’une certaine pelote de laine rouge cherchée dans la commode et retrouvée dans le placard (81, 83).
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Conseil N°3 : Pas d’affirmation non-corroborée
Concentrez-vous. Vous êtes le détective ! Devant toute affirmation qui fait avancer l’enquête ou ouvre une nouvelle piste, vérifiez si elle est corroborée. Si elle ne l’est pas, n’y pensez plus ! C’est un piège : elle ne fait pas partie du scénario. Christine Redfern est ainsi la seule à suggérer un chantage qui aurait mal tourné (149-151,307), invoquant une conversation qu’elle seule a entendue. En définitive, c’est toute l’intrigue des Vacances d’Hercule Poirot qui repose sur une affirmation non-corroborée. Mais je vous laisse le découvrir par vous-mêmes, détective !
Dans le même esprit, demandez-vous si la scène à laquelle vous assistez est réelle ou jouée, et dans quelle intention. Un couple qui se querelle (46-48), un accès d’impatience (78, 83), un numéro d’amoureux transi (138) ? Vous tenez peut-être quelque chose !
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Conseil N°4 : Méfiez-vous des pronoms !
L’écriture d’Agatha CHRISTIE est subtile. Comptez sur elle – et sur son traducteur – pour tirer parti de toutes les subtilités de la langue. Le pronom notamment, qui fait référence à une personne ou un objet précité, le remplace et l’occulte complètement. Pratique pour une auteure de polar ! Mais êtes-vous toujours sûr de savoir de qui ou de quoi on parle dans Les Vacances d’Hercule Poirot ?
Dans sa chambre le matin du 25 août, la jeune Linda interrompt sa lecture et pose « son » livre sur la coiffeuse :
« C’était un petit volume relié, assez épais. Elle se regarda dans la glace. Son visage était comme crispé. Elle serrait les lèvres et ses yeux ne bougeaient pas. « Il faut le faire, murmura-t-elle, et je le ferai ! » (71)
« Son livre »… Mais quel livre ? Compte-tenu des détails donnés et du ton menaçant de la jeune-fille, le livre est-il important pour la suite ?
« Ça ne s’est pas trop mal passé… », commente Rosamund Barnley à la sortie de l’audition d’enquête (224). Mais si Marshall est innocent, qu’est-ce qui aurait pu mal se passer au juste ? De quoi parte-t-elle ?
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Conseil N°5 : Ne sautez pas aux conclusions, ne hurlez pas avec les loups et faites preuve d’imagination pour éviter les fausses pistes.
On devrait toujours garder l’esprit ouvert quand on lit Agatha CHRISTIE, donner leur chance à tous les personnages sans les condamner d’emblée. Le texte est forcément biaisé. Dans Les Vacances d’Hercule Poirot, l’auteure raconte une histoire. Ne vous laissez pas mener par le bout du nez !
Mieux, Agatha CHRISTIE nous invite à faire preuve d’imagination dans chacun de ses romans. Et si la briseuse de ménages des Vacances d’Hercule Poirot était en fait une victime ? (295-296) Et si, au lieu de la femme fatale, il fallait plutôt penser gigolo ? (176-177)
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Conseil N°6 : Quiproquos, premières impressions et réactions émotionnelles
« Et si vous saviez ce que je sais ! » (229), lance Linda, en pleine confusion, à Rosamund Barnley. A côté des froids assassins qui peaufinent leur version et jouent un rôle, certains personnages d’Agatha CHRISTIE réagissent émotionnellement. Ils se concentrent sur leurs peurs les plus intimes, se crispent, se referment sur eux-mêmes et s’expriment par bribes. Que deux de ces personnages se rencontrent et c’est le quiproquo assuré ! Les Vacances d’Hercule Poirot en sont pleines et cela ne facilite pas nos investigations !
Poirot quant à lui préfère retourner à ses premières impressions des personnes (303). Il peut être intéressant d’y prêter une attention spéciale.
De même, surveillez les réactions émotionnelles des personnages, du moins celles qui ne peuvent être jouées, bien sûr. Coup de volant (56), rougeur soudaine (150) sont révélateurs dans Les Vacances d’Hercule Poirot, reste à savoir de quoi.
Vous ne voudriez pas, comme l’inspecteur Colgate des Vacances d’Hercule Poirot, foncer tête baissée dans tous les pièges qu’on vous tend ? D’abord le mari jaloux à court d’argent (115), l’amant délaissé qui se venge (119), le maître-chanteur (152, 252) et enfin le traficant de drogue (255) ! Après tout, lui objecte Poirot avec humour : « Ce n’est pas le maitre-chanteur qui est mort, c’est sa victime. » (152)
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Conseil N°7 : Scènes en double pour nous alerter :
Comme dans La Mort aux Trousses de Hitchcock, Agatha CHRISTIE joue sur la répétition des motifs, pour nous alerter et nous faire réfléchir.
Dans les premières pages des Vacances d’Hercule Poirot, Marshall fait une scène à son épouse Arlena :
« Redfern, tu l’avais déjà rencontré ? […] La vérité, reprit-il, c’est que tu as dit au jeune Redfern que tu venais ici. » (44)
Et la scène se reproduit quelques pages plus loin entre Patrick Redfern et sa femme Christine :
« Est-ce que tu savais que cette femme serait ici ? […] Tu es amoureux d’elle. » (46-47)
Un couple peut en cacher un autre…
Dans le cas de Linda, et cela fragilise son alibi, c’est un bain qui en cache un autre (71-72, 128, 145-146). La question de qui a pris un bain à l’hôtel et pourquoi vient en écho à ces deux bains de mer. C’est elle qui met Poirot sur la piste (246)
Dans le chapitre 8 enfin, en pleine fouille de la chambre d’Arlena, Poirot s’attarde sur sa garde-robe. Il y découvre « deux immenses chapeaux de plage en carton », un rouge et un jaune (176). Mais combien y avait-il donc de chapeaux ? On sait qu’Arlena a été retrouvée morte sous un immense chapeau « vert jade résolument excentrique » (25). Dans Les Vacances d’Hercule Poirot, le chapeau est un indice. Agatha CHRISTIE vous tend des perches, attrapez-les !
Faire sa propre enquête pour découvrir le coupable avant Hercule Poirot n’a rien d’une sinécure ! Le lecteur d’Agatha CHRISTIE doit être comme une langouste, agitant en tous sens ses antennes pour se repérer et faire la bonne analyse. Il lui faut un sixième sens pour comprendre quand on lui ment et quand on lui montre des indices.
Mais comment Poirot fait-il donc ?
Les Vacances d’Hercule Poirot : la méthode du détective belge
Comme ils ont déjà collaboré (La Maison du Péril), le colonel Weston connait les méthodes peu « orthodoxes » du détective belge :
« Vous m’avez donné là la plus grande surprise de ma vie et je me souviendrai toujours de la façon dont vous êtes venu à bout de cette énigme. » (93)
Décidé à associer Poirot à cette nouvelle enquête (94), il ne sera pas déçu…
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Poirot fait cavalier seul
Le découpage des Vacances d’Hercule Poirot se calque plus ou moins sur les différentes étapes de l’enquête de police officielle. Après la découverte du corps d’Arlena (88) commence la série d’interrogatoires méthodiques menés par le colonel Weston (chapitres 5-8). Ces dix interrogatoires sont, paradoxalement, les parties les plus « froides » et inintéressantes des Vacances d’Hercule Poirot. Le détective s’y montre discret et songeur, gratifiant ses interlocuteurs de grimaces dubitatives (198), boudeuses (269) et s’exprimant par onomatopées :
« Ainsi, j’avais raison, murmura-t-il. J’avais raison. Mais, l’autre, alors ?… Ce serait possible aussi ? Non, ça ne se peut pas !… A moins que… » (180)
Si Poirot profite des informations de la police, il ne partage rien de ses réflexions avec ses collègues (ni avec les lecteurs). A tout prendre, c’est plutôt un mauvais camarade qui suit dès le départ son propre cheminement dans cette enquête embrouillée.
Après la fouille des chambres (chapitre 8-1 et 8-2), Poirot s’émancipe enfin de ses collègues et lance sa propre enquête. Lors de ce dernier tour de piste (chapitre 10), Poirot, insistant, pose les mêmes questions insolites à un panel de suspects et témoins choisi :
- Que pensez-vous de feu Mme marshall ? (241)
et : - Avez-vous pris un bain dans votre chambre ? (235, 245)
Comme tous les Agatha CHRISTIE, Les Vacances d’Hercule Poirot se terminent sur la révélation publique du coupable par Poirot (290). Celui-ci mis au frais, le détective livre une reconstitution orale des faits (chapitre 13). C’est la méthode Poirot :
« Tout cela devait trouver sa place dans le « puzzle ». Sans exception. Et puis, quand tout serait en place, il faudrait paser du concret à l’abstrait : expliquer. » (260)
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Il s’intéresse aux détails
Alors que la police enquête de manière conventionnelle dans Les Vacances d’Hercule Poirot, notre détective, lui, s’attache aux détails. Il s’intéresse en particulier à tout ce qui parait « inhabituel… extraordinaire, pas banal, singulier, curieux… » (193). Bref, à ces pièces du puzzle qui semblent n’entrer nulle part.
Poirot se concentre sur « ces petits faits » et cherche parmi tous les scénarios du crime celui qui les explique (306).
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Il sait poser les bonnes questions
Comparé aux policiers Weston et Colgate, Poirot est souvent celui qui pose les bonnes questions dans Les Vacances d’Hercule Poirot :
- « Qui Mme Marshall allait-elle retrouver ? » (125)
- Si Christine Redfern a inventé la conversation pointant un chantage, pourquoi l’a-t-elle fait ?
- Le fait que personne ne reconnait avoir pris un bain est « extrêmement intéressant » en soi, note Poirot. Mais « pourquoi quelqu’un aurait-il pris un bain ?, lui souffle Miss Darnley. – Oui, au fait, pourquoi ? », s’interroge le détective d’Agatha CHRISTIE.
Poirot se laisse porter par l’enchaînement des faits et les éventuels mensonges des suspects pour découvrir le scénario qui se tient.
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Il s’intéresse à la victimologie
On a déjà noté le côté sensible de notre enquêteur dans Les Vacances d’Hercule Poirot. Il s’intéresse à la psychologie des individus, et aussi à la victimologie :
« Vous ne comprenez pas, capitaine Marshall, déclara-t-il. On ne peut pas considérer un assassinat comme un fait en soi. Un meurtre s’explique, neuf fois sur dix, par le caractère de la victime, par sa personnalité. C’est parce qu’elle était tel ou tel genre de personne qu’elle est devenue la victime. Aussi longtemps que nous ne saurons pas très exactement qui était Arlena Marshall, quel genre de personne elle était, nous resterons incapables de définir exactement le genre de personne qui a pu la tuer, incapables de situer l’assassin. D’où les questions, indispensables, que nous vous posons. » (109)
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Il adore expérimenter
Le détective des Vacances d’Hercule Poirot aime provoquer les choses… et les gens ! Il manque d’ailleurs se faire étrangler, suite à ses provocations (292).
Ainsi adopte-t-il un vocabulaire volontairement cru avec la jeune Linda, dans l’espoir de la faire craquer (131-132). Il va aussi jusqu’à organiser un pique-nique pour tester les aptitudes physiques de ses suspects (264-265, 270) !
Très vaniteux avec un goût pour la démonstration, Poirot garde tout pour lui, de sorte à créer la surprise. Il se moque de passer pour fou s’il peut ainsi garder la primeur de ses découvertes.
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On ne parle pas de la vraisemblance dans Les Vacances d’Hercule Poirot, le crime est un peu trop bien « ficelé » ! Le plus important, c’est le mécanisme du meurtre, la précision de sa mise en scène et le raisonnement de Poirot. Agatha CHRISTIE peut être assez énervante à nous noyer sous les infos, les scénarios… Elle sait toujours nous surprendre par son invention et son personnage de dandy détective est tout simplement irremplaçable !
Aimez-vous accorder vos lectures à la saison ou à vos activités du moment ? Les Vacances d’Hercule Poirot font-elles partie de votre top 3 des livres d’Agatha CHRISTIE ? Dites-le dans les commentaires !…
En Savoir plus :
- Acheter et lire en français Les Vacances d’Hercule Poirot, d’Agatha CHRISTIE (Ed. Livre de Poche, 1982)
Cet article participe au Challenge British Mysteries chez Lou & Hilde
et au challenge Cette année, je (relis) des classiques
chez Nathalie et Blandine