Dans son roman paru en 2016, Louis SANDERS échine à plaisir locaux et expatriés anglais en Dordogne. Et il n’y va pas avec le dos de la cuiller ! Chronique très noire de l’installation ratée d’une famille britannique dans un hameau du Périgord, Auprès de l’Assassin est un thriller psychologique.
Teigneux et un peu violent sur les bords ? L’auteur, croisé il y a bien longtemps en prépa, ne m’avait pourtant pas laissé cette impression… Après Auprès de l’Assassin, on lui souhaite seulement que la communauté britannique n’ait pas perdu son humour en s’acclimatant. Sinon, il se prépare des lendemains difficiles !
Bienvenue en Dordogneshire…
Mark, qui travaillait dans la banque (23) et n’est pas encore retraité, s’est laissé convaincre par un projet de chambre d’hôtes en France, dans le Périgord vert (Voir Note 1). Il s’installe donc en juillet à Pombol avec sa femme Jenny et leur fils de 7 ans. Pourtant, leurs voisins les plus proches, situés juste à 30 mètres, leur font rapidement découvrir tous les plaisirs de la campagne : bruit de trayeuse, remugle du fumier qu’on retourne et l’impression d’être constamment épiés… Jusqu’au moment où Georgette – dont on ne sait pas très bien si elle est la femme, la sœur ou… la mère de Martin ! (96) – est retrouvée noyée dans la rivière et où le voisin les accuse (7)…
Mais la vieille Georgette s’est-elle suicidée, poussée à bout par les frasques du setter de Mark ou Martin s’est-il débarrassé d’elle ? La famille vit-elle auprès d’un assassin ?
Avec Auprès de l’Assassin, Louis SANDERS nous offre un roman sur la peur de l’autre et le déracinement. Avec un humour féroce, il souligne l’impréparation des expats à ces changements qui fragilisent le couple et la famille (19).
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Pauvres Anglais !
Parce qu’ils appartiennent à la deuxième vague des expatriés britanniques en Périgord (Voir Note 2), les Mark et Jenny de Auprès de l’Assassin ne font pas partie de cette élite « chic, démodée et plutôt réactionnaire » (123) que SANDERS décrit à travers les personnages de Beeb & Lucy, « qui vivaient on ne savait pas trop de quoi et s’étaient installés en Dordogne au début des années 80 » (27) ou encore de la « très riche et très saoule » Elizabeth (123), qui à défaut d’avoir un métier, a un passé au Kenya (124). Pas de peintre, de dramaturge de la BBC ou d’ancienne championne d’équitation dans leur entourage (27). Mark et Jenny ont tout liquidé pour s’installer ici, avec un vague projet de gîte équestre avec travaux (10, 23).
Seul Mark comprend et parle le français à leur arrivée (18), Jenny n’a même jamais vu la maison (11). Sans compétences particulières, les voilà à la merci des entrepreneurs (27). Timides (39) et attachés à leurs habitudes (31), les Anglais décrits par Louis SANDERS dans Auprès de l’Assassin semblent confondre peinture sur toile (10) et peinture en bâtiment, gros travaux et « décoration » (11). Ils se contentent de trouver ce qu’ils ne comprennent pas « très continental » (14, 50) et préfèrent finalement l’alcool à tous leurs beaux projets (20, 153). Sacré portrait !
Si Mark se fait un copain et peut lâcher du lest, le dimanche à la chasse, Jenny, quant à elle, déprime sévèrement (13, 46-47, 90-95, 127, 137).
Dans une campagne française où les cadeaux de bienvenue peuvent être « un lapin mort, saigné, écorché » accompagné de son bol de sang (!) (22), les héros de Auprès de l’Assassin n’arriveront jamais à comprendre et adopter les codes sociaux du pays (68).
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Les Deschiens dans le Périgord
Même portrait au vitriol du côté des paysans périgourdins éleveurs, marchands de bestiaux ou cueilleurs de champignons (45 !!) au look improbable (12) dont les cours de ferme ressemblent à des casses automobiles (53, 62). Dans Auprès de l’Assassin, Louis SANDERS leur prête un peu les traits des Deschiens (12) ou, pire, ceux des chiens de chasse des locaux :
« Ils puaient, ils étaient sales, certains s’étaient roulés dans la merde, par instinct, pour couvrir leur odeur de chiens. Et ils avaient tous envie de tuer. Les aboiements se faisaient plus aigus, hystériques. » (41)
A peine noirci par la parano grandissante des Anglais toujours plus repliés sur eux-mêmes, le trait est féroce, outrancier. Aussi délirant, en fait, que le regard de nos malheureux Anglais sur ce qui les entoure, et passablement exacerbé par l’alcool : vin blanc (28) ou prune (129).
Et si ce n’était que ça ! Seuls personnages extérieurs au drame, le médecin comme les gendarmes ne voient aucun avenir à ces rustres, si ce n’est le suicide (86, 114), la folie ou… les deux (142, 163) !
Si seulement !… La capacité des autorités à s’aveugler est l’un des ressorts inattendus de l’intrigue d’Auprès de l’Assassin.
Malgré l’ambiance pesante, on rit d’autant plus facilement dans Auprès de l’Assassin qu’on rit de l’autre : l’étranger, le paysan… La scène de l’apparition des cueilleurs de champignons par exemple, les enfouissements nocturnes dans le jardin ou la surveillance serrée du chien, puis du poney sont vraiment réjouissants !
Auprès de l’Assassin : un thriller psychologique
On pourrait lister longtemps toutes les causes du désastre. La dislocation progressive de la famille, la montée de la parano et de la violence sont d’ailleurs extrêmement bien rendues. Mais Auprès de l’Assassin est plutôt l’histoire d’une intimidation, d’un harcèlement. Un thriller psychologique tendu qui prend le pas à mi-livre sur l’étude sociologique, avec les accusations du voisin (77).
Exit le choc des cultures et l’étude de mœurs (les Anglais, la chasse, le bistrot…). L’affrontement est maintenant physique et verbal, l’antagonisme énoncé à haute voix par le voisin ennemi (134-135). Maintenant à son paroxysme (136-137, 145, 146, 153-154), la peur peut céder à l’action (170)…
Le retournement de situation et la petite note d’humour final (174) sont, pour le coup, terriblement anglais !
Avec un sujet original – les Anglais qui s’installent en Dordogne – et un angle particulier – celui du thriller psychologique -, Louis SANDERS nous offre une lecture courte (174 pages), plaisante et finement menée.
Qui part s’installer en Dordogne ?
NOTES ARTICLE :
- Les chiffres des Anglais en Dordogne à l’aube du Brexit – Slate, 28/03/2019
- Au cœur de la Dordogne anglaise, article de Bernard CASSEN dans Le Monde diplomatique d’août 2004 (réservé aux abonnés)
En Savoir plus :
- Acheter et lire Auprès de l’Assassin de Louis SANDERS (Ed. Rivages Noir, 2016)