… ou le procès de Barbe-bleue.
1915, la Grande Guerre. Pendant que les hommes meurent sur le front, des femmes rêvent mariage en lisant les annonces matrimoniales du « Petit Journal »…
Méfiez-vous des petites annonces !
Ce qui va devenir « l’affaire Landru », pourtant, ne commence que 4 ans plus tard, en 1919, avec le dépôt conjoint de plainte pour disparition des familles d’Anna Collomb et de Célestine Buisson, et avec une coïncidence des plus extraordinaires, lorsque l’amie d’une des plaignantes, Mme Bonhoure, reconnaît Landru sortant d’un magasin de la Rue de Rivoli et le file un moment, avant de prévenir la police ! (p.16)
L’enquête, qui a été confiée aux Brigades du Tigre, aboutit rapidement à l’arrestation de Landru, au 75 rue Rochechouart à Paris, la fouille de plusieurs garages à Clichy et Neuilly, remplis de meubles, de papiers et d’effets féminins, et les perquisitions des maisons de Gambais et Vernouillet, dans les Yvelines… jusqu’à la découverte dans les cendres d’un fourneau de la villa Tric à Gambais (ça ne s’invente pas !) de restes humains : fragments de crânes, dents, sans compter les agrafes, épingles et boutons… Comme dans un série télévisée, une équipe d’’experts (légiste, anthropologue, dentiste, toxicologue) se réunit pour procéder aux analyses nécessaires à l’instruction.
Une tête de mouton est même coupée en deux et un gigot de 7 livres sont mis à cuire pour déterminer si la cuisinière se prête à des incinérations.
« Force est de constater que le tirage du four est excellent » ! (p. 23)
Mais surtout, le carnet dans lequel l’escroc reconverti en tueur en série, a noté la moindre de ses dépenses, le moindre de ses trajets et toutes les informations utiles concernant ses victimes et ses « prospects » (!), l’état de leur fortune, etc… commence à livrer sa comptabilité macabre…
Deux allers pour un seul retour…
En 4 ans, sous des identités diverses (Cuchet, Fremyet, Dupont, Guillet…), l’homme au chapeau melon (p.38) et à l’épaisse barbe noire a rencontré quelques 283 fiancées par le biais des petites annonces ! (p.19)
« Et je n’en aurais tué que dix ! », se serait exclamé Landru (p.19)
Après de 2 ans et demi d’instruction et un dossier de plus de 5.000 pièces, le procès s’ouvre le 7 novembre 1921 par la lecture de l’acte d’accusation, qui dure 3 heures ! (p.39) Henri-Désiré Landru, 51 ans, est accusé du meurtre de dix femmes et du fils de la première d’entre elles, Jeanne Cuchet.
Vingt audiences suivront, de plus en plus fréquentées, commentées, contribuant à faire de Landru « la figure emblématique du tueur de femmes » (p.128), avant que sa condamnation à mort ne soit prononcée, le 30 novembre 1921, et son recours en grâce ayant été rejeté, la sentence exécutée, au petit matin, devant la prison de Versailles le 25 février 1922 par le bourreau Anatole Deibler.
Il faut dire qu’entre la publicité faite à la cuisinière (façon Arts ménagers), le procès ultra-médiatique et la personnalité de l’accusé lui-même, l’affaire Landru était faite pour passionner le public….
Comme dans nos pires histoires « people », c’est une célébrité du barreau de l’époque, Me Moro-Giafferi, qui défendra Landru, gratuitement ! (p.21)
Un procès-spectacle auquel Maurice Chevalier, Mistinguett, Colette ou Raimu assistent (p.81) et où l’on se presse comme à « un théâtre subventionné un jour de 14 juillet », écrit « l’Avenir » (p.80).
Le procès, minute par minute….
Ecrit par Christine Sagnier, « l’Affaire Landru » est l’un des volumes de l’excellente collection « Grands Procès de l’Histoire » des Editions de Vecchi, qui transforme ses auteurs, – chercheurs, historiens, journalistes -, en chroniqueurs judiciaires « a posteriori », pour nous permettre de découvrir les grandes affaires criminelles françaises comme elles ont été vécues à l’époque.
C’est donc à travers les questions du Président Gilbert, de l’avocat-général ou des avocats, l’audition des témoins, mais aussi les articles de presse et les créations des chansonniers qu’on découvrira l’histoire de ce « Barbe-bleue moderne » (p.20), très agréable à lire du fait de ses sources variées, encadrés et très nombreux sous-titres, et aussi, il faut le dire, du fait des nombreuses sorties de Landru, ravi d’avoir trouvé un public.
Car HDL (comprendre : Henri-Désiré Landru !) n’est pas un assassin comme les autres. Mesquin avec sa famille, le petit homme chétif et chauve a pourtant su charmer un grand nombre de femmes plus ou moins jeunes et averties. De même dans un procès dont l’issue semble peu douteuse, Landru tiendra son public jusqu’au bout, refusant de se défendre :
Landru à l’avocat général : « Je respecte tous les juges et la justice ! Vous m’accusez d’assassinat, prouvez-le ! Ce n’est pas à moi de prouver mon innocence ! » (p.56)
mais posant parfois les bonnes questions :
« Sur douze femmes, s’écrie l’accusé, qui tient toujours à parler de douze, on n’a pu en retrouver une, ni même la moitié d’une ! C’est étonnant, mais il est plus simple de supposer que je n’ai tué personne » (p.74)
faisant rire la galerie ainsi que ses juges, et même son avocat :
« Depuis trois ans ne me reproche-t-on pas des faits que les disparues elles-mêmes ne m’ont à aucun moment reprochés ! » (p.40)
« A son défenseur qui lui exposait, ces jours derniers, que chacun des quatorze « Oui » demandés au jury peut le conduire à la guillotine, il répondait : « Quatorze ! J’espère bien bénéficier de la confusion des peines » – L’Excelsior (p.87)
promettant des coups de théâtre qui ne viendront pas :
Le président insiste : « Où se trouvait alors Mme Guillin ? De quel droit vendez-vous ses titres ? – Je n’ai pas à le dire. C’est à la police de le savoir et de l’établir. Elle a mis six ans à me retrouver alors que j’existais ; peut-être finira-t-elle par retrouver Mme Guillin ! » (p.50)
et faisant preuve à l’égard de ses victimes d’un grand cynisme :
A propos de son carnet: « Ne vous hypnotisez pas sur ces chiffres, explique-t-il au Président, ce sont là des annotations personnelles se rapportant à ma comptabilité ; ce sont des incidents de cuisine personnelle » (p. 61)
Le mot est bien choisi…
« Cependant, réplique le président, l’instruction démontre le contraire : dès le premier jour vous causez mariage. – Je faisais des études de psychologie féminine », répond Landru » ! (p.64)
Landru ne se livrera pas. Onze crimes et pas un seul cadavre, écrit Christine Sagnier (p.35), avant de conclure : « Le mystère Landru est intact » (p.113).
Comme le déclare Landru à son avocat, alors qu’il se prépare pour la guillotine : « Maître, j’emporte mon secret avec moi. Ce sera mon bagage » (p.112).
« Feu Landru »…
Lors de la 14ème audience, la fameuse cuisinière, dans laquelle HDL aurait fait disparaître toutes ses victimes, prend place dans le prétoire (p.69), celle-là même que Landru, depuis sa prison, deux jours avant sa mort, se plait à décrire dans un courrier d’adieu adressé à l’avocat-général comme « malingre, plus faite pour cuire une dînette de petit ménage comme vous avez dû en faire, enfant, avec votre jeune sœur » (p.108).
Et plus loin : « N’est-ce pas qu’elle vous a bien fait peur, ma petite cuisinière, toute seule, dans votre grand prétoire ? ». (p.109) Landru aura le dernier mot, c’est sûr !
Mise en vente à la fin du procès, la cuisinière a d’abord rejoint le Musée Grévin, puis une collection américaine. Aux dernières nouvelles, ce serait Laurent Ruquier qui l’aurait achetée et exposée dans le hall du Théâtre Marigny où sa pièce a été jouée du 1 Décembre 2005 au 26 Février 2006.
En savoir plus :
- Acheter le livre : « L’Affaire Landru » de Christine Sagnier (Paris, Ed de Vecchi, 2006)
Quelques-unes des « réincarnations » de Landru :
- Films de cinéma : Monsieur Verdoux de Charlie Chaplin (1948) ; Landru de Claude Chabrol avec Charles Denner (1963)
- Téléfilm : Landru de Pierre Boutron, avec Patrick Timsit (2005)
- Théâtre : Landru de Laurent Ruquier (2006)
- BD : Henri Désiré Landru de Christophe Chabouté (2006)