Quelques instants de la vie d’une femme – Mma Ramotswe, “seule femme detective privée du Botswana” (7) -, quand elle se souvient de son père, de son mari musicien qui la battait ou de son enfant mort, quand elle raconte les toutes premières enquêtes de « l’Agence N°1 des Dames détectives » (9) qu’elle a créée et, à la toute fin du livre, la seconde demande en mariage de son ami le garagiste Mr. J.L.B.Matekoni, qu’elle finit par accepter…
Premier d’une série de 13 romans écrits par Alexander McCALL SMITH, un éminent juriste d’origine écossaise né en Rhodésie et qui a vécu et travaillé 3 ans au Botswana, le roman Mma Ramotswe détective est sorti en 1998.
Avec pragmatisme et intuition, une bonne connaissance des hommes et des femmes de son pays, et l’aide de ce qu’on appellerait aujourd’hui son « réseau » (un policier ou un médecin originaires de sa ville natale Mochudi, son voisin médecin légiste le Dr Gulubane, quelques contacts au-delà de la frontière avec l’Afrique du Sud…), « Precious Ramotswe » (8) ou comme elle se décrit elle-même « la grosse dame détective » (9), résout toutes sortes d’affaires :
- Hommes adultères
- Disparitions
- Impostures
- Actes de sorcellerie (la « honte » des Africains, dira le garagiste (99))
- Trafic de voitures volées
- Escroqueries à l’assurance…
« C’était une bonne enquêtrice et une femme de bien. Une femme de bien dans un pays de bien, pourrait-on dire. Elle aimait son pays, le Botswana, qui était une terre de paix, et elle aimait l’Afrique pour toutes ses vicissitudes. Je n’ai pas honte d’être qualifiée de patriote africaine, disait Mma Ramotswe. J’aime tous les peuples que Dieu a créés, mais je sais tout spécialement comment aimer celui qui vit ici. C’est mon peuple, ce sont mes frères et mes sœurs. Il est de mon devoir de les aider à élucider les mystères de leur existence. Telle est ma vocation » (8)
Elle a surtout une bonne intelligence des situations et une belle autorité naturelle qui lui permettent de mettre en scène des farces pour confondre les coupables : déguisée en infirmière, il suffit qu’elle demande au père prodigue qui s’est installé chez sa fille de donner la moitié de son sang pour la sauver pour qu’il reconnaisse son imposture et se sauve en courant (chapitre 1 : « Le papa »). Dans l’affaire du faux accident de travail, également, elle réussit grâce à sa prestation théâtrale à retourner l’avocat contre son client (chapitre 16 : « Doigts coupés et serpents venimeux »).
Faire la justice, pour elle, consiste avant tout à restaurer la paix et ménager les équilibres : il faut certes faire cesser les abus et punir les coupables, mais Precious comprend certaines motivations (l’ouvrier a des parents à charge, une sœur atteinte du sida et ses enfants à nourrir…) (186). Pour lui, elle se contentera d’un sermon pour le remettre dans le droit chemin et s’arrangera toujours pour que ses amis n’aient pas à subir les conséquences des affaires qu’ils l’aident à découvrir.
Si Mma Ramotswe fait souvent référence à Agatha Christie (68, 93, 224) et au mystérieux manuel de Clovis Andersen « Les Principes de l’Investigation privée » (116) – totalement fictif ! -, copier les techniques d’infiltration d’enquêteurs chevronnés ne lui réussit pas vraiment… Et une simple affaire de mari volage (chapitre 14 : « Beau gosse ») tourne à l’ « epic fail » quand elle apporte à Alice Busang la preuve imparable de l’infidélité de son mari Kremlin (!) sous la forme d’une photo d’elle-même embrassant ledit mari :
« Vous…[…] Vous avez été avec mon mari ? […] Espèce de grosse morue ! Vous vous prenez pour une détective ? Vous n’êtes rien d’autre qu’une mangeuse d’hommes, comme toutes ces filles de bar ! Ne vous laissez pas avoir, messieurs dames ! Cette femme n’est pas détective ! C’est l’Agence N°1 des Voleuses de maris, voilà ce que c’est ! » (156-157)
Un grand moment de comédie !
Les Hommes….
Mma Ramotswe croit que « tout ce que l’on a envie de savoir sur une personne est inscrit sur son visage » (11) et sa méfiance va d’abord aux hommes et à leur « mauvaise conduite » (12)…
– Les hommes sont paresseux et profiteurs :
« Lui, il se contente de rester assis dans son fauteuil devant la porte et de me dire ce que je dois faire d’autre pour lui », explique Happy Bapetsi à l’enquêtrice. « Beaucoup d’hommes sont comme ça, fit remarquer Mma Ramotswe. » (14)
– obsédés dès le plus jeune âge, comme son voisin de catéchisme, un exhibitionniste de tout juste 9 ans (Chapitre 3 : « Petites leçons sur les garçons et les chèvres ») :
« Et puis, qu’est ce que cette chose avait de si extraordinaire ? Tous les garçons en avaient une. […] Les garçons, les hommes, lui explique Mma Mothibi, la dame du catéchisme, ils sont tous les mêmes. Ils pensent que cette chose est extraordinaire et ils en sont tous très fiers. Ils ne savent pas à quel point c’est ridicule » (44)
Aussi, quand Peter Malatsi disparait mystérieusement le jour de son baptême, Mma Ramotswe le soupçonne immédiatement d’être parti avec « l’une des chrétiennes de la communauté » (73).
« Avez-vous été mariée ? interrogea Mma Malatsi. Savez-vous ce que c’est que d’être mariée à un homme ? » (79). Mma Ramotswe lui répond qu’elle a eu un mari et qu’aujourd’hui, elle est « contente de ne plus en avoir » (79)
Cette méfiance naturelle d’une femme vis-à-vis des hommes, donne lieu à un autre grand moment comique du livre lorsque la détective essaie de se mettre à leur place ou, comme on lit dans les polars actuels, de « rentrer dans leur cerveau » :
« Comme ce devait être pénible d’être un homme et d’avoir à tout instant le sexe dans un coin de son cerveau ! Elle avait lu dans l’un de ses magazines qu’un homme normalement constitué pensait au sexe en moyenne soixante fois par jour ! Elle avait peine à le croire mais, visiblement, ce chiffre provenait d’études sérieuses. Tandis qu’il vaquait à ses occupations, l’homme moyen avait ces pensées à l’esprit. Il s’imaginait donnant coup de reins sur coup de reins, comme le faisaient les hommes, tout en accomplissant les tâches les plus diverses ! […] Et Mr. J.L.B.Matekoni, avec son expression bonhomme et son visage franc réfléchissait-il à cela en manipulant les têtes de Delco ou en changeant les batteries Elle l’observa de plus près : comment savoir ? Le regard d’un homme qui pense au sexe devenait-il soudain lubrique, sa bouche s’ouvrait-elle pour laisser apparaître sa langue rose ou… Non. C’était impossible. – A quoi penses-tu, Mr. J.L.B. Matekoni ?
La question lui avait échappé et elle la regretta aussitôt. C’était comme si elle le mettait en demeure d’avouer qu’il songeait au sexe. » (159)
Les Femmes…
Non sans humour, Alexander McCall Smith décrit la multitude des femmes qui « ont des doutes » sur leur mari :
« Quand il rentre à la maison, il sent le parfum, expliqua-t-elle. Et il sourit aussi. Un homme qui sent le parfum et qui sourit en arrivant chez lui, c’est tout de même bizarre, non ? » (91)
Mais à travers l’histoire de Precious Ramotswe ou celle de Happy Bapetsi, il fait aussi le portrait de femmes africaines qui accèdent à l’éducation, et réussissent à se libérer de l’emprise des hommes.
Consciente de ce qu’elle a vécu, elle se sent proche de la jeune Indienne Nandira, que son père lui demande de surveiller de peur qu’elle compromette un futur mariage arrangé, et réalise un an plus tard qu’elle s’est peut-être fait flouer par la jeune fille… (132)
Alors, féministe, l’héroïne d’Alexander McCall Smith ? Plutôt une défenseuse du droit des femmes ou « une femme moderne », comme elle se décrit elle-même (113). Et elle cite un vieux poème setswana :
« Nous sommes les premières à avoir labouré la terre quand Modise (Dieu) l’a créée, disait un vieux poème setswana. C’était nous qui préparions la nourriture. C’est nous qui nous occupons des hommes quand ils sont petits, quand ils deviennent grands puis quand ils vieillissent et approchent de la mort. Nous sommes toujours là. Seulement nous ne sommes que des femmes, et personne ne nous voit. » (42)
L’Afrique…
Une des enquêtes proposées à Mma Ramotswe – l’histoire de Thobiso, le petit garçon disparu, peut-être sacrifié pour fabriquer des talismans pour la magie noire (99) – la touche particulièrement, elle qui a eu un enfant l’espace de cinq jours seulement, et c’est une histoire qui revient plusieurs fois tout au long du livre jusqu’à sa résolution à l’avant-dernier chapitre (chapitres 6, 7, 8, 15, 17, 18, 19 et 21).
Si Mma Ramotswe n’imagine pas tout de suite le pire, JLB Matekoni le garagiste lui en est persuadé, sûr aussi que « la police ne lèvera pas le petit doigt pour découvrir comment et où les choses se sont déroulées. Parce qu’elle a peur. Parce que tout le monde a peur. » (99)
Regard sur une Afrique en devenir…
D’abord remplie d’un sentiment d’impuissance (90), Mma Ramotswe déploiera tous ses talents pour découvrir la vérité.
« Il y avait tant de souffrance en Afrique qu’on était parfois tenté de hausser les épaules et de s’éloigner. Seulement, on ne peut pas faire cela, pensait-elle. On ne peut pas. » (245)
Car Mma Ramotswe, c’est toute l’Afrique, et c’est ce que pense Mr. JLB Matekoni avant de lui refaire sa demande :
« Il tourna la tête dans l’obscurité pour regarder cette femme qui était tout pour lui : la mère, l’Afrique, la sagesse, la compréhension, la bonne cuisine, le potiron, le poulet, l’odeur sucrée de l’haleine du bétail, le ciel blanc sur l’infinité de la savane, et aussi la girafe qui pleurait et donnait ses larmes aux femmes, qui en enduisaient alors leurs paniers. O Botswana, mon pays, ma patrie. » (249)
Une série TV réalisée en co-production avec la BBC et HBO a été adaptée des romans d’Alexander McCALL SMITH par Richard CURTIS et Anthony MINGHELLA en 2008 et – hasard des hasards ! – les 7 épisodes de « L’agence N°1 des Dames détectives » sont actuellement rediffusés sur ARTE, du 5 au 8 août 2013 à 13H35.
Alors, vous êtes (déjà) fan ?
J’en profite pour vous signaler « The Alexander McCall Smith Challenge » organisé par Emy sur le blog « The lost Art of keeping Secrets » dont cet article représente ma première participation.
Objectif minimum : la lecture de 3 romans parmi 2 des célèbres séries écrites par l’auteur : Les Enquêtes de Mma Ramotswe (et de un !), Chroniques d’Edimbourg, Isabel Dalhousie. Vous avez jusqu’au 15/03/2014 !
En Savoir plus :
- Acheter et lire « Mma Ramostwe détective » de Alexander McCall Smith, Coll. Grands Détectives, Ed. 10/18, 1998
Et quelques jours plus tard, je peux même te dire que la série TV qui en est inspirée (et que j’ai regardé assidûment toute la semaine sur ARTE) n’est pas mal non plus ! Entièrement tournée « on location » comme on dit, au Botswana… Une lecture et/ou un DVD pleins de soleil et d’aventures, idéal pour l’été ! Merci d’être passée 🙂
Totale découverte pour moi ! Je n’avais jamais entendu parler ni du livre ni de l’auteur. Ça a l’air sympa, merci du tuyau !