La sortie du livre The Ravenmaster, My Life with the Ravens at the Tower of London, de Christopher SKAIFE était annoncée sur Twitter… Après le passionnant documentaire canadien sur l’intelligence des corbeaux évoqué ici en 2012, ce retour d’expérience du maître des corbeaux de la Tour de Londres m’a immédiatement tentée. Et quel bon sujet pour la période d’Halloween !
J’ai donc lu en anglais ce livre de 284 pages accompagné d’une bibliographie de 50 références qui permettra aux passionnés du sujet d’en apprendre encore plus sur ces oiseaux fascinants et sur les légendes de la Tour de Londres. Sous la splendide couverture rouge et or, le livre ne pouvait être que noir corbeau, c’est le cas ! Une superbe présentation…
« My name is Chris Skaife and I am the Ravenmaster at the Tower of London.* »
Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, la Tour de Londres érigée par Guillaume le Conquérant en 1078 est l’une des attractions majeures à voir à Londres (5). On y admire notamment les Joyaux de la Couronne britannique et on se souvient peut-être qu’elle a abrité pendant plus de 600 ans la ménagerie royale d’Angleterre composée d’animaux exotiques offerts aux différents souverains : lions, ours, éléphant, léopard, singes et zèbre (63-69).
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La Tour de Londres, un témoin historique
Les corbeaux de la Tour de Londres prolongent-ils cette tradition du tout premier zoo londonien ? Rien de moins évident. Après qu’elle a été transformée en prison et lieu d’exécution aux 16ème et 17ème siècles, les corvidés qui volent autour de l’échafaud sont vus comme les âmes des suppliciés ou encore comme de mauvais présages :
« And there […] are the ravens, reminders of our dark past, souls of the departed, the very souls of those who were executed on the private scaffold site on Tower Green ! « Witness the ravens ! Here since the beginning of time ! Here since Anne Boleyn herself was executed ! » (186)
Avant de devenir les gardes d’apparat de la Tour de Londres (4), les Yeoman Warders ou Beefeaters étaient donc chargés de la surveillance des prisonniers.
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Ravenmaster, un parcours de vie
Pour faire partie de la Team Raven, comme il l’appelle (14), Christopher SKAIFE a d’abord passé 25 ans dans l’armée (22 est un minimum) (10), puis suivi un long parcours d’initiation sous l’autorité d’un mentor. Entré dans l’armée à 16 ans et demi – « la meilleure décision de toute ma vie », note l’ex-futur voyou né à Douvres (10) -, il entre à la Tour de Londres à 40 ans (145) le 7 juillet 2005, jour des attentats de Londres. Il devient le 6ème Ravenmaster en 2011 (13), un rôle et un titre créés seulement en 1968.
Avec beaucoup d’humilité, Chris SKAIFE décrit ses responsabilités et l’une de ses journées-type pour mieux mettre en relief les incroyables aventures vécues chaque jour grâce aux corbeaux. Les libérer de leur cage le matin, les nourrir, les soigner, les séparer, voire leur courir après lorsqu’il leur prend des envies d’indépendance, assurer les visites guidées (131-136), poser pour les quelques 400 photos-souvenir quotidiennes exigées par les touristes (15), faire la chasse aux renards (38-39, 62), recevoir les journalistes, historiens, corvidologues ou simples corvidophiles.
Ce qu’on apprend sur les corbeaux…
Au nombre de 6 ou 7 en permanence, – une légende urbaine de Londres veut en effet que si les corbeaux disparaissent, c’est tout le royaume britannique qui s’effondrera (6, 176) -, ces grands Corvus Corax (73) proviennent de multiples origines (refuges, éleveurs…)
Mâles ou femelles, il est parfois difficile de le savoir. C’est ainsi que Merlina, arrivée à la Tour en 2007, s’est d’abord fait connaître sous le nom de Merlin… avant de changer officiellement de sexe ! Chassés comme nuisibles jusqu’à quasi extinction, ils sont protégés depuis 1981 et le Royaume uni compte désormais quelques 7.400 couples reproducteurs (115).
Silhouette, taille, envergure, forme du bec et de la queue, vol, croassement, le Ravenmaster liste toutes les caractéristiques qui distinguent un corbeau des autres oiseaux de la même famille (73-75).
Bien protégés, nourris et entretenus, les pensionnaires de la Tour ont entre 2 et 23 ans, l’âge de Munin, une femelle fugueuse qui donne du fil à retordre à notre Ravenmaster (96-112). Un certain « James Crow » a même vécu jusqu’à 44 ans ! (18) Pour les empêcher de s’envoler, les ailes des oiseaux sont traditionnellement rognées, même si cette pratique a été adoucie (88-91).
Dotés de mémoire (154, 164), capables de ruse et d’intelligence (159-165), certains corbeaux élevés en captivité sont capables d’imiter les voix et les bruits, comme Thor qui accueillit Vladimir PUTIN d’un sonore « Good morning ! » lors de sa visite à la Tour de Londres en 2003 (155-156, 224). Mais SKAIFE préfère apprendre à parler corbeau (149, 155), plutôt que de faire de ses pensionnaires des « singes à plumes » (159) :
« They’re not my pets. They do not do tricks. […] They do not perform on cue. »(15-16)
Pas pour les mauviettes…
Si les corbeaux sont monogames (202), fidèles jusqu’à la mort, et pleurent, comme nous, la mort de leurs congénères (203-205), ils savent aussi se montrer cruels (109), calculateurs (ils cachent leur nourriture (188)) et difficiles à approcher.
Le récit que fait notre Ravenmaster Chris SKAIFE de sa poursuite de Munin dans les échafaudages de la Tour blanche jusqu’à la girouette ressemble ainsi à s’y méprendre à la scène mythique de King-Kong tenant dans sa main la frêle héroïne Ann Darrow, aussi blonde et blanche que la turbulente Munin est noire !
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Du sang et des rats au menu
Leur menu quotidien (54) et friandises préférées en disent long sur le sujet ! Si vous voulez faire plaisir aux corbeaux de la Tour de Londres, préparez-leur des biscuits pour chien trempés dans le sang, le Ravenmaster vous donne la recette ! (53-54) ou encore de gros rats morts qu’ils commenceront par étriper pour ne laisser que la peau :
« A nice fat rat’ll do a raven all day. » (54)
N’oublions pas que les corbeaux sont omnivores et… charognards.
Tout à fait dans le thème halloween, n’est-ce pas ?
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Gardez vos distances !
« Ravens will do whatever it takes to survive. This explains their reputation for cruelty. They will feed on carrion and carcasses. They will live anywhere, in any conditions. They are prepared to push themselves and others to the limit to get what they want. You’ve got to admire that. » / Les corbeaux sont prêts à tout pour assurer leur survie. Cela explique leur réputation de cruauté. Ils se nourrissent de charogne et de cadavres, peuvent vivre n’importe où et dans n’importe quelles conditions et sont toujours prêts à repousser leurs limites pour obtenir ce qu’ils veulent. On ne peut qu’admirer cela (109), écrit le Ravenmaster.
Quand les oiseaux se battent pour leur territoire, la vigilance de la Team Raven est de mise (146)…
Ainsi que le lui a enseigné Derrick COYLE, le précédent Ravenmaster :
« Don’t look them directly in the eye. And keep your distance. Don’t get too close. They find it threatening ! »/ Ne les fixez jamais. Et restez à distance. Si vous vous rapprochez, ils prennent cela pour une menace. (77)
Et pour finir :
« Don’t show them you’re scared », said Derrick. « They’ll notice, and they’ll remember. »/ Ne leur montrez jamais que vous avez peur. Ils le sentiront et ne l’oublieront jamais. (78)
En bref :
« Never, ever underestimate the ravens ».(112)
Un lecteur averti en vaut deux !
Corvid enthusiasts
Véritable somme de connaissances sur les corbeaux, The Ravenmaster, My Life with the Ravens at the Tower of London de Christopher SKAIFE liste aussi les artistes qui se sont passionnés pour les « oiseaux noirs » :
- BRUEGHEL l’Ancien et son allégorie Le Triomphe de la Mort, qu’on peut voir au Prado (169)
- Les illustrations de Gustave DORÉ pour le poème Le Corbeau d’E.A. POE (169)
- Ou celles de Lorenzo MATTOTTI sur la musique de Lou REED (169)
- Les incroyables photos du Japonais Masahisa FUKASE (170)
- Et les sculptures de Tim SHAW (169).
Côté littérature, on apprend aussi grâce au Ravenmaster que Lord BYRON possédait une corneille apprivoisée (210), Truman CAPOTE un corbeau aux ailes rognées, Lola (210), sans oublier DICKENS qui aurait vécu avec pas moins de 4 corbeaux tout au long de sa vie et en fait l’un des personnages de son 5ème roman Barnaby Rudge (211-212). Tous appelés Grip, ils ont donné leur nom à plusieurs des pensionnaires de la Tour. C’est Edgar Allan POE qui publie Barnaby Rudge aux Etats-Unis en 1841 et s’en inspire pour son poème Le Corbeau publié en 1845 (216).
J’ignorais…
Une lecture rafraichissante
« To be a good Yeoman Warder, you’ve got to be able to tell a good story. You’ve got to be a storyteller » / Pour être un bon gardien de la Tour de Londres, il faut savoir raconter une histoire. Vous devez être un conteur. (133)
Le pari est certainement réussi ! Loin de l’étude scientifique ou du travail d’un érudit (7), le livre du Ravenmaster Christopher SFAIKE est plein d’humour, de vécu, de passion.
« At this stage in my career I suppose I just want to share what I’ve learned about the birds from observing and working with them. » / Au point où j’en suis de ma carrière, j’imagine que j’ai simplement envie de partager tout ce que j’ai appris en observant et en travaillant avec les corbeaux. (269)
Cet homme simple, humble (7), ancien soldat adepte de l’école buissonnière raconte son parcours émaillé d’aventures lointaines ou pittoresques et s’étonne lui-même d’être devenu « a bit of a bookworm » (168), – un rat de bibliothèque -, par passion pour les corbeaux.
Entièrement voué au bien-être de ses oiseaux, le Ravenmaster bouscule peu à peu les traditions et vient de réaliser un de ses rêves : Munin (ou Muninn ?) vient de donner naissance à 4 adorables corbillots qui, s’ils sont élevés à la Tour, devraient modifier les relations sociales problématiques des individus jusque-là réunis par le hasard.
Une source de nouvelles observations passionnantes à venir, sans aucun doute !
NOTE :
(*) « Je m’appelle Chris SKAIFE et je suis le Maître des Corbeaux de la Tour de Londres. » (3)
En Savoir plus :
- Acheter et lire The Ravenmaster, My Life with the Ravens at the Tower of London, de Christopher SKAIFE (Londres, ed. 4th Estate, 2018)
Cet article participe au Challenge Halloween de Lou & Hilde
Oh oui, une lecture parfaite pour Halloween! Merci pour toutes ces informations, ça semble vraiment intéressant. Mes connaissances sur les corbeaux sont assez limitées.
A vrai dire, je pense avoir moins appris sur les corbeaux que dans le reportage ARTE que j’avais chroniqué en 2012, mais le gars est tellement sympa ! C’est aussi l’envers du décor de la Tour de Londres, alors c’est rigolo, toutes ces anecdotes…