J’ai voulu faire la maline… et j’ai perdu ! Transportée par ma récente découverte d’Arnaldur INDRIDASON et de son Lagon noir, je me suis laissé aller à mon mauvais esprit naturel et j’ai choisi, sur sa 4ème de couverture, La Voix d’Arnaldur INDRIDASON, paru en France en 2007, comme deuxième lecture de cet auteur : .
La perspective d’une enquête pour meurtre sur la personne du Père-Noël (Niark ! Niark !) m’a fait oublier les précautions les plus élémentaires. Quelle déception que La Voix d’Arnaldur INDRIDASON !
Ça commençait pourtant bien !
Dans le deuxième plus grand hôtel de Reykjavik (20) en pleine affluence de Noël (14), Gudlaugur (20) – alias « Gulli » pour les intimes (28) -, portier, homme à tout faire et Père-Noël quand c’est la saison, est pris la main dans le sac ou, pour être précis, un préservatif plein de salive pendant au bout du sexe, dans le cagibi qui lui sert de chambre (15). Il porte son costume de Père-Noël et a reçu « une blessure mortelle au niveau du cœur » (16). Le commissaire Erlendur Sveinsson débarque et ne quittera plus l’hôtel qu’une fois toute la lumière faite sur le crime.
La Voix d’Arnaldur INDRIDASON : le noir vs. la tentation du comique…
Saviez-vous que le Père-Noël avait fait une puberté précoce à 12 ans, ruinant une carrière de choriste prodige pour devenir portier et Père Noël dans un grand hôtel pour touristes de la capitale islandaise ? Enquêter sur son meurtre, surtout dans ces circonstances, promet quelques moments savoureux, que de manière assez surprenante Arnaldur INDRIDASON ne se refuse pas. C’est le premier point marquant de ce polar.
Mais que les fans de la légendaire mélancolie nordique se rassurent, La Voix d’Arnaldur INDRIDASON ne faillit pas à la tradition du noir islandais, puisqu’y sont évoqués sans distinction : pédophilie, pornographie infantile, drogue, prostitution, schizophrénie, la courte carrière des enfants stars, les homosexuels reniés par leur famille, la jalousie dans les fratries ou les vols de nourriture dans les hôtels, etc.
Cela fait plus de 20 ans qu’Erlendur est divorcé de sa femme Halldora (52), sa fille Eva Lind, droguée et sur le point de replonger, a perdu son bébé à 7 mois de grossesse (102) et son fils est alcoolique (53). Pétri de culpabilité, Erlendur a du mal à dissocier la situation de Gudlaugur, renié par son père et sa sœur lorsqu’il perd sa voix d’ange, l’abandon dont il est coupable vis-à-vis de ses propres enfants après son divorce et sa culpabilité d’enfant d’avoir survécu à la tempête de neige qui a emporté son petit frère de 8 ans… Pour Erlendur dans La Voix d’Arnaldur INDRIDASON, la famille n’est guère qu’« un groupe épars qui ne partageait rien d’autre que les malheurs de la vie » (56).
« Il ne savait pas pourquoi il vivait […].Erlendur livrait sa bataille solitaire en méditant sur la responsabilité, la faute et la chance. » (311-312)
On comprend bien que la saison de Noël n’a pour le Commissaire Erlendur aucun charme et pourquoi il décide, sur un coup de tête, de s’installer dans une petite chambre mal chauffée de l’hôtel, le temps de l’enquête, plutôt que de rentrer chez lui. Bougon avec ses collègues Elinborg et Sigurdur Oli qui s’inquiètent de la façon dont il passera Noël, il s’y adonne d’ailleurs à un certain « lâcher prise », se ruant sur le buffet de Noël du restaurant, interrogeant les clients de manière abrupte et sortant dans le couloir « pieds nus, en slip et toujours enroulé dans sa couette. » (56)
Pour faire bonne mesure, La Voix d’Arnaldur INDRIDASON évoque une seconde affaire en filigrane : le procès d’un père soupçonné de battre son fils de 8 ans (63, 78, 127, 128, 201). Dans ce huis clos qui démarre 5 jours avant Noël pour se terminer opportunément le 24 décembre – chaque « jour » étant composé de plusieurs chapitres -, l’ambiance est donc sombre et poisseuse, semblant s’appesantir sur les difficultés de la vie de famille et de la relation père-fils.
Depuis la découverte du corps au début de La Voix, Arnaldur INDRIDASON entretient d’ailleurs soigneusement cette ambiance glauque autour des enfants vedette et des collectionneurs de disques aux motivations douteuses qui gravitent autour d’eux. « Et vous collectionnez les petits garçons qui chantent dans les chœurs ? », fait-il dire à Erlendur lors de son interrogatoire du collectionneur anglais Henry Wapshott (132).
Mais si l’enquête avance, lui faisant découvrir « une vie de famille en miettes » (298), avec un adolescent isolé et harcelé par les autres gamins (175-176), banni de sa famille à 20 ans pour avoir déçu les ambitions de son père (167) et condamné à s’introduire de nuit en secret dans la maison familiale pour se sentir moins seul (288), la découverte d’un coupable presque de dernière minute ne devrait pas surprendre.
Malgré les multiples pistes proposées au cours de l’enquête, le fait qu’il ne s’agit dans La Voix d’Arnaldur INDRIDASON ni d’une histoire de spéculation, d’héritage ou de vengeance, mais bien d’un sale petit crime opportuniste rend ce polar encore plus noir ! Et La Voix d’Arnaldur INDRIDASON tourne avant tout autour des non-dits qui polluent la vie et enferment, vous amenant parfois à passer à côté de votre propre vie, – ces fameuses « affaires de famille » (139) prétextées par la sœur de la victime…
Finalement, le principal reproche qu’on peut faire à ce polar, c’est de nous mentir et de repousser au maximum la révélation du véritable motif de la rupture entre Gudlaugur et sa famille et aussi d’alourdir le récit par la retranscription maladroite de témoignages et de dialogues du passé – tous en italiques -, destinés, semble-t-il, à rendre le récit plus vivant. C’est complètement raté ! Au bout des 400 pages de La Voix d’Arnaldur INDRIDASON, on a, comme Erlendur avec Sigurdur Oli, envie d’engueuler l’auteur et de le prier de nous « cracher le morceau un peu plus vite » ! (321)
Non, « la soirée la plus abominable de toute sa vie » (165) n’a pas été pour Gudlaugur celle où il a perdu sa voix devant tout le monde dans la salle de concert de sa ville, mais bien celle où son père l’a surpris en pleins ébats avec un petit copain (375) ou, avant cela, celle où ses camarades d’école l’ont aperçu portant l’une des robes de sa mère juste après la mort de cette dernière (374). D’où son surnom de « Petite Princesse », inspiré du film de Shirley TEMPLE (324). Et pourtant, la version officielle colportée par le père, la sœur, le chef de chœur, l’amant de Gudlaugur et… le principal intéressé lui-même est celle d’un père ambitieux qui lui a volé son enfance (166, 294, 305).
Ce que son père n’acceptait pas en lui était son homosexualité plus que toute autre chose et c’est le thème central de La Voix d’Arnaldur INDRIDASON. Sa sœur Stefania reconnaîtra qu’elle aurait dû « régler ça » depuis longtemps (386)…
La tentation comique
C’est suffisamment rare pour le souligner, il y a dans La Voix d’Arnaldur INDRIDASON une véritable veine comique, aussi inattendue chez l’auteur islandais qu’efficace.
Cela commence par les interrogatoires un peu surréalistes d’Erlendur qui s’obstine à désigner la victime comme « le Père-Noël » : « Vous connaissiez le Père-Noël ? », interroge-t-il à droite et à gauche (31). Déconcentré par le luxuriant buffet de Noël de l’hôtel, Erlendur s’essaie aussi à « mettre les pieds dans le plat » en posant ses questions de manière on ne peut plus directe : « Alors comme ça, vous volez ? », demande-t-il au cuistot de l’hôtel (227) et un peu plus tard : « Parlez-moi donc un peu des putes (…) » (328).
Et puis enfin, il y a l’interrogatoire de Stina, une connaissance d’Eva Lind, prostituée de son état et dont les nouveaux seins la démangent terriblement :
« Trois cent mille, annonça-t-elle en passant précautionneusement sa main sous son sein droit comme s’il la démangeait. […] Du silicone tout neuf. » (265-266)
Une véritable scène de comédie : à lire dans La Voix d’Arnaldur INDRIDASON !
Même Eva Lind s’y met, interrompant grossièrement des entretiens de son père avec des femmes, comme si elle était jalouse (338, 387) :
« Qu’est ce que c’est que cette mégère ? » (338)
Une éclaircie ? La rencontre d’Erlendur avec Valdergur
Oui, il y a comme une éclaircie dans La Voix d’Arnaldur INDRIDASON avec la rencontre d’Erlendur avec Valdergur, la biologiste chargée des prélèvements sur cette affaire (65), et avec qui le commissaire aura plusieurs rendez-vous « romantiques » (93).
Après un premier verre au bar de l’hôtel, Erlendur s’endort avec son image :
« Après le départ d’Eva Lind, le sourire de Valdergur l’accompagna jusqu’à ce qu’il s’endorme, bercé par quelques légères notes du parfum qu’il avait gardé sur sa main lorsqu’ils s’étaient dit au revoir. » (108)
Et Erlendur a tout de suite envie de lui confier tous ses secrets, l’histoire de son petit frère perdu dans la neige (152).
Touchantes, ces rencontres où tous les deux reconnaissent qu’il y a longtemps qu’une telle chose ne leur est pas arrivée (94, 332)…
Il s’est vraiment passé quelque chose entre eux… Leur histoire a-t-elle une suite dans l’œuvre d’Arnaldur INDRADISON ?
« Il était étrangement heureux de la revoir. On aurait dit que son cœur avait sursauté et manqué un battement quand il avait entendu sa voix. Sa tristesse se dissipa l’espace d’un instant, insufflant de la vie à sa voix. Il éprouvait presque de la difficulté à respirer. » (145)
La Voix d’Arnaldur INDRIDASON : Et Noël dans tout ça ?
Je vous l’avais promis, on parle un peu de Noël ? Juste pour (en) rire…
L’interrogatoire à la cafét’ de la femme de chambre qui a découvert le corps dans les premières pages de La Voix d’Arnaldur INDRIDASON donne le ton :
« Est-ce que c’était un gentil Père Noël ?
La jeune femme le dévisagea.
– Qu’y a-t-il ? demanda Erlendur.
– Je ne crois pas au Père-Noël » (27)
La messe est dite !
Parmi les flics travaillant sur l’affaire, il y a Elinborg qui prend Noël très au sérieux, décore sa maison, remplit des Tupperware soigneusement étiquetés de petits gâteaux secs et cuisine traditionnel (38-39) et Erlendur au contraire pour qui « Il n’y a plus eu aucun Noël après [la] disparition » de son frère (251) :
« Erlendur n’était pas pressé. Il n’avait personne d’autre que lui-même à rejoindre dans l’obscurité de son appartement. Les fêtes de Noël n’avaient pour lui aucune importance. » (40)
Dès la fin du chapitre 3 de La Voix d’Arnaldur INDRIDASON, Erlendur choisit de s’installer à l’hôtel (47) où il passe la plupart de ses nuits allongé sur son lit à fixer le plafond (97)…
« Noël m’ennuie », explique-t-il à Sigurdur Oli qui lui renouvelle son invitation (82) et la femme de chambre de confirmer :
« Les fêtes de Noël, c’est pour les gens qui sont heureux. (218)
On laisse le mot de la fin à Erlendur, au chapitre 21 :
« Il restait deux jours avant Noël, pensa-t-il. Ensuite, nous redeviendrons des gens normaux. » (248)
La Voix d’Arnaldur INDRIDASON : à boire et à manger…
Heureusement qu’Arnaldur INDRIDASON sait nous faire rêver avec l’évocation des spécialités islandaises proposées pour les fêtes de Noël :
- « le hareng, le mouton fumé, le jambon de porc, la langue de bœuf et tous les accompagnements, et puis les délicieux desserts, la glace, les tartes à la crème, la mousse au chocolat et bien d’autres friandises encore » présentes sur le luxueux buffet de Noël de l’hôtel (30).
- Ou encore le « cuissot de porc à la suédoise » qu’Elinborg laisse mariner pendant douze jours sur son balcon et auquel elle accorde « autant de soin que s’il s’était agi de l’Enfant Jésus dans ses langes. » (38-39)
L’univers dans lequel se situe un polar doit-il être suffisamment proche du lecteur pour qu’il l’apprécie ? Le monde du chant et la carrière des « enfants vedettes » évoqué dans La Voix d’Arnaldur INDRIDASON – pas plus que la téléréalité du même nom – ne m’ont pas beaucoup passionnée, je dois dire… Mais surtout, le livre est brouillon, manque de focus et est loin d’être achevé.
J’avais déjà lu ce conseil ici et là : il faut lire INDRIDASON dans l’ordre. Qu’en pensez-vous ?
En Savoir plus :
- Acheter et lire le polar « La Voix » d’Arnaldur INDRIDASON (Ed. Points, 2008)