Oui, je suis le genre de personne à qui on offre un bouquin sérieux sur les tueurs en série pour son anniversaire. Vous êtes prévenus !
Plus sérieusement, écrit par Daniel ZAGURY, ce petit livre sorti en 2008 et aujourd’hui aux Editions Pocket se propose en 190 pages seulement de nous faire pénétrer dans L’Enigme des Tueurs en Série. Si le propos est parfois un peu « technique », il reste accessible. Ceux que la figure du SK dans la littérature, au cinéma – ou dans l’actu criminelle ! – passionne me suivront sans doute dans cette lecture. Je ne note ici toutes les citations que pour mémoire.
Portraits de tueurs en série…
Aussi bien son auteur Daniel ZAGURY, psychiatre des hôpitaux, spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale et expert auprès de la cour d’appel de Paris est-il habitué à faire preuve de pédagogie dans les procès où il est amené à témoigner devant des magistrats et des jurés non spécialistes.
Au cours de sa carrière, ce « psychiatre de l’horreur » (c’est ainsi que ses enfants le surnomment et c’est le titre du 1er chapitre du livre !) a pu expertiser une douzaine de tueurs en série français (7), parmi lesquels Guy GEORGES, Patrice ALEGRE, Pierre CHANAL et Michel FOURNIRET.
Il entre en relation avec eux, les questionne sur leur parcours – et au besoin parle foot ! (37) -, pour tenter d’appréhender leur « fonctionnement mental » (80) :
« Qu’est-ce qui chez Guy Georges, Patrice Alègre, Michel Fourniret, Pierre Chanal…, et quelques autres, a constitué une nécessité criminelle ? » (13)
L’énigme des tueurs en série, c’est le « mécanisme psychique » (13) particulier à ces criminels. Le but de Daniel ZAGURY est d’« éclairer la rationalité du mal » (15). Et il explique :
« Le clinicien explore les sources intimes du crime, la réalité psychique du criminel. Son analyse révèle un homme, non un monstre ; un destin raté, non un surhomme ; un fonctionnement psychique en perdition, non la machinerie diabolique d’une intelligence du mal. Elle débusque la fascination. Elle tient à distance les élans de réprobation morale. […] Il ne fait que décrire des mouvements psychiques, l’organisation d’une personnalité, un « comment » du mal. » (10)
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Psychotiques, psychopathes, pervers narcissiques, mais pas fous
Il faut commencer par dire qu’un tueur en série n’est pas un fou ou un malade mental. C’est d’ailleurs ce qu’une expertise pénale va chercher à clarifier dès le départ :
- on vérifie qu’il n’y a pas d’anomalie chromosomique (88),
- pas d’épilepsie ou de tumeur au cerveau (89),
- pas de psychose qui permettrait de dire que le criminel est un malade mental et de conclure à l’irresponsabilité pénale (89).
« Ni anomalie organique, ni psychose dissociative ou épisodes délirants » (108). Ensuite seulement, on s’intéresse à la personnalité du criminel.
« Tuer et recommencer, et recommencer encore et encore…, n’est compatible qu’avec certaines conditions très singulières de biographie, d’organisation de la personnalité et de rapport au monde », écrit Daniel ZAGURY. (17)
Selon lui, la classification des tueurs en série en schizophrènes (délirants au moment des faits, donc irresponsables) ou en psychopathes pervers (conscients de leurs actes et aptes à purger leur peine dans une prison) (33, 50) qui anime généralement les querelles d’experts judiciaires, est manichéenne et insuffisante à rendre compte de ces personnalités complexes.
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Pour un nouveau modèle d’analyse de la personnalité des tueurs en série
A travers les portraits des différents tueurs en série qu’il nous propose, Daniel ZAGURY progresse dans l’explication de ce qu’est son « tripôle à pondération variable » (34), le prisme commun au travers duquel il peut appréhender, comprendre le parcours et la personnalité des tueurs en série, aussi différents soient-ils les uns des autres (181) :
« On trouve toujours chez ce genre de criminel une part de psychopathie, une part de perversion, une part d’angoisse de néantisation sous-jacente, et une organisation des défenses centrée sur le clivage » (98),
le clivage du Moi étant un mécanisme de défense qui opère chez les tueurs en série et leur permet de donner la mort dans l’indifférence la plus parfaite, « en retrouvant un sentiment de puissance grandiose » vestige de ce temps où le sujet – tout bébé – « était le monde entier ». (59)
« Après le déchaînement, ils retrouvent leurs repères. C’est comme si quelqu’un d’autre l’avait fait à leur place. La réussite du clivage leur permet pour un temps de continuer leur existence et de savourer en secret le triomphe de pouvoir cacher leurs actes. (77-78)
Daniel ZAGURY illustre la notion de clivage du Moi par une relecture de L’Etrange Cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde de Robert Louis STEVENSON, étonnante création de 1886 qui préfigure les découvertes des psychiatres sur la personnalité des tueurs en série (voir chapitre 4). Ce même clivage qui fera dire à l’un d’eux : « Je l’ai fait, mais ce n’est pas moi. » (67)
ZAGURY présente ainsi le modèle du « tripôle à pondération variable » qu’il recommande pour analyser la personnalité des tueurs en série (chapitre 3) :
« Je résume très schématiquement mon modèle, que le lecteur pourra se représenter comme un triangle barré : les 3 sommets du triangle sont le pôle psychopathique, le pôle pervers et le pôle de l’angoisse psychotique de néantisation. La barre est la figuration du clivage du Moi. Ce qui varie, c’est la pondération de chacun des pôles. C’est aussi la réussite relative ou l’échec du clivage, selon qu’il permet de maintenir la cohésion du Moi, au prix d’une part maudite ; ou selon qu’il est débordé dans sa fonction de barrière interne, n’offrant plus de résistance à l’envahissement délirant. Ainsi avons-nous un modèle formel, à la fois général et singulier, prenant en compte les agencements particuliers et l’originalité des histoires. Je l’illustrerai pour la commodité de la compréhension de la manière suivante, même s’il convient de ne pas se laisser prendre au piège du schématisme : le pôle psychopathique peut dominer (Guy Georges, Patrice Alègre) ; le pôle pervers (Fourniret, Pierre Chanal) ; le pôle de l’angoisse psychotique (Julien). » (50-51)
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Les caractéristiques communes des tueurs en série
« Les tueurs en série sont tous très différents les uns des autres, mais leur personnalité est marquée de caractéristiques communes » (51),note Daniel ZAGURY.
« Ils se sont précocement organisés sur un modèle psychosomatique pour éviter des désordres plus grands encore. […] La folie, par exemple. Fourniret n’est pas devenu fou, mais pervers. Il aurait pu devenir délirant, ça aurait été mieux pour la société, mais il a pris le virage de se construire une carapace », explique Daniel ZAGURY dans un article du Point, daté du 18/02/2013.
« Le recours au mal répond chez les tueurs en série à des règles d’économie psychique. Au cas par cas, la réponse apparaît comme une solution face au risque de ré-engloutissement traumatique : il s’agit de transformer le traumatisme d’autrefois en triomphe d’aujourd’hui, au détriment de la victime ». (177)
Autrement dit, il s’agit pour les tueurs en série de :
« Tuer pour demeurer vivant » (183)
Et de :
« Transformer le risque de défaite en triomphe » (72)
A propos de Guy GEORGES, Daniel ZAGURY développe :
« Le Moi de Guy GEORGES n’est pas morcelé, émietté, kaléidoscopique comme chez le schizophrène ; son Moi est « coupé en deux », il est clivé. Il y a le Guy GEORGES qui bavarde, qui rit, qui a des petites amies, et le Guy GEORGES qui assassine des femmes. C’est un psychopathe. Il n’est pas envahi par des hallucinations au moment des faits ; il tue pour éviter de se laisser envahir par l’angoisse. […] « Il est conscient de l’horreur de ses actes […], mais à aucun moment il n’est impliqué émotionnellement. » (89-91)
Et à propos de la perversion narcissique qui « chosifie » la victime et ôte toute empathie aux tueurs en série (95) :
« Dans ce moment, la passivité se transforme en activité, la détresse en jouissance, l’impuissance en toute-puissance. Le sujet n’est plus menacé par la destruction, il détruit. Il n’est plus dépendant de quiconque, il soumet une victime entièrement à sa merci. Il n’est plus un être fragile, abandonné, mais omnipotent, indestructible et immortel. Ce mouvement défensif utilise la victime pour reconstituer un sentiment unitaire et pour renforcer le mécanisme de clivage du Moi » (95)
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Parmi les nombreux points communs que le psychiatre Daniel ZAGURY découvre entre ces différents tueurs en série, quelques « lignes de force » (17) :
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Des traumatismes profonds dans l’enfance :
◊ Enfant maltraité, manipulé par sa mère, sodomisé dans les foyers où il a vécu (Julien, chap 1)
◊ De père inconnu, vivant mal l’irruption d’un beau-père dans une famille au climat incestueux ; ado marginal, il devient gigolo (Jérôme, chap 2),
◊ Abandon précoce et placement en famille d’accueil et en foyers, fugues (Guy GEORGES, chap 6)
◊ Mère alcoolique et adultère qui l’utilise pour couvrir ses frasques (et inversement), père violent, confié à sa grand-mère, puis en maison de correction, fugueur violé par 2 toxicos à l’âge de 13 ans (Patrice ALEGRE, chap 7)
◊ Cinquième de 17 enfants dans une famille désunie et très pauvre. Père alcoolique, insultant. Il choisit la carrière militaire à 18 ans, a honte de son homosexualité, est psychorigide (Pierre CHANAL, chap 8)
◊ Né en pleine guerre d’une mère enfant illégitime soupçonnée de collaboration, et d’un père alcoolique éloigné par le STO pendant ses premières années, il croit avoir vu la Vierge à 12 ans et sera désormais obsédé par la virginité (Michel FOURNIRET, chap 9).
La manière dont Pierre CHANAL répond « Joker ! » (121) ou « No comment ! » (124) à chaque fois qu’on évoque son enfance en dit long sur ce qu’il a subi…
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Une « bascule décisionnelle »
qui ôte définitivement aux tueurs en série tout sentiment de culpabilité. Pour l’expliquer, Daniel ZAGURY cite d’abord Alain LOSTES :
« Aux sources de la position perverse, en réponse à une situation désorganisante d’abandon, il y a un moment décisionnel fondé sur un noyau de réalité alléguée et interprétée une fois pour toute comme insupportable, lavant désormais la victime du préjudice de toute culpabilité : tout lui sera permis. » Avant de poursuivre : « A partir du moment où j’ai été abandonné, je m’autorise à ne plus éprouver de culpabilité. Je suis lavé. Compte tenu de ce qu’on m’a fait, je peux tout faire. J’ai tous les droits y compris celui de n’éprouver aucune culpabilité. S’est-on senti coupable de ce qu’on m’a fait ? La plupart des tueurs en série que j’ai expertisés formulent de telles rationalisations fondées sur leur parcours biographique. » (44)
Le processus à l’œuvre chez Jérôme (44) est décrit de la même façon chez Guy GEORGES (82), Patrice ALEGRE (109) ou Pierre CHANAL (129).
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Un rapport perturbé à la mère :
Autre caractéristique de l’organisation psychique des tueurs en série, « l’idéalisation forcenée de l’image maternelle » (69) :
« Si tant est que j’aie apporté une petite pierre dans la clinique des tueurs en série, c’est de relever ce trait commun : ils ont vécu des épisodes extrêmement traumatiques, et presque tous idéalisent l’image maternelle », écrit Daniel ZAGURY (113)
« Ils peuvent avoir été l’objet des pires sévices, des pires abus, des pires récusations de toute autonomisation, ce sont d’autres femmes qui paieront pour leur mère. Les meurtres en série ne sont pas la conséquence de la haine consciente de la mère, mais de la haine inconsciente, clivée et agie de l’image maternelle. » (69)
ZAGURY voit dans les crimes des tueurs en série « un matricide déplacé. » (21, 69). Avec Patrice ALEGRE, chez qui « La dimension incestueuse est évidente » (112) :
« Les viols suivis de meurtres auraient alors pour fonction à la fois de réaliser le désir incestueux et d’annuler cet inceste effroyable. » (113)
« Dans cet instant, ses défenses psychiques, aussi bétonnées soient-elles, ne suffisent plus : il faut que l’image de cette mère excitante, envahissante et menaçante ne soit plus à l’intérieur de lui mais projetée sur la victime et détruite. C’est à cela que lui servent les victimes. Après le crime, le clivage du Moi peut se remettre en place. De nouveau, il peut imaginer Maman comme une mère idéale et recommencer à tuer. » (114)
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Le coup de foudre criminel
qui désigne aux tueurs en série leurs victimes. « C’est le télescopage de l’interne et de l’externe qui déclenche le passage à l’acte criminel » (65). « Quelque chose chez la victime fait vibrer ce que j’ai appelé métaphoriquement la zone psychique du crime. » (77)
A propos du « coup de foudre criminel » (65-66, 75), Daniel ZAGURY évoque aussi l’image du vampire et l’appropriation du « principe vital » ou de « l’énergie » perçus chez leurs victimes par les tueurs en série et « dont ils sont fondamentalement privés ». (75)
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Le vécu subjuguant du premier crime.
Le tout premier crime est « un révélateur » (84) et la plupart des tueurs en série s’en souviennent d’ailleurs de manière très précise. (84)
« L’homme qui commet un premier meurtre ne sait pas qu’il va devenir un tueur en série. Il s’agit d’un crime plus ou moins improvisé, souvent marqué par l’utilitarisme. Parfois c’est un viol initial qui se prolonge ou dérape en homicide. Mais il va s’accompagner d’un vécu aussi déroutant que subjuguant pour le sujet lui-même. […] A partir de la surprise initiale, la matrice de la répétition se met en place. » (182)
Le premier crime de « Julien » a lieu lors d’un cambriolage :
« Une expérience ‘subjuguante’, au point qu’il sera amené à la répéter. La surprise et la jouissance tiennent au fait qu’il constate qu’il a été capable de commettre ces actes. » (21)
Quant à Guy GEORGES :
« Sa propre indifférence pendant le crime l’avait déjà fort surpris. Mais ce qui l’a proprement sidéré c’est que autour de lui personne ne remarque rien. » (85)
Si le premier crime des tueurs en série est fortuit, tous les autres sont prémédités. (85)
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La répétition et les bénéfices que les tueurs en série y trouvent:
« Jérôme » a tué 7 femmes âgées (35-36). Dans les années 90, Guy GEORGES tue 7 jeunes femmes entre 19 et 33 ans (79-100). A 29 ans Patrice ALEGRE est accusé de 5 meurtres et 6 viols. L’adjudant Pierre CHANAL est soupçonné d’être l’auteur de la disparition de 7 jeunes appelés de la caserne de Mourmelon (117). Après les premières agressions sexuelles et sa première incarcération, Michel FOURNIRET, aidé de Monique OLIVIER, tuera Isabelle, Farida, Fabienne, Jeanne-Marie, Elisabeth, Natacha, Céline et Maniana, avant que Marie Ascension lui échappe et qu’il soit enfin arrêté. (148)
« Contrairement à ce que l’on croit généralement, la jouissance du criminel n’est pas liée à la souffrance occasionnée ou au plaisir de donner la mort, mais à la constatation jubilatoire de sa propre indifférence face à la terreur qu’il transmet. Ce constat lui confère un sentiment de toute-puissance et d’impunité qui agit sur lui comme une incitation à récidiver. » (85)
La recherche des situations déclenchantes se met en place chez les tueurs en série – Guy GEORGES parle du « plaisir de la chasse » (87) -, un mode opératoire s’affirme, le SK est né :
« A partir de la surprise initiale, celle du premier acte criminel, plus ou moins improvisé, cette expérience matricielle va progressivement être maîtrisée. Cette maîtrise, dans l’attente, la traque, le mode opératoire, est du côté du principe freudien de plaisir. […] La maîtrise du traumatisme ne peut qu’échouer. Le crime ne saurait constituer une tentative de guérison. Le crime ne paie pas psychiquement. La contrainte de le répéter demeure.
La recherche active des situations de déclenchement devient de plus en plus contrôlée, au fur et à mesure de la sériation des crimes. Selon les cas, ce sera un quartier, un lieu, une ambiance, avec ou non consommation d’alcool et prise de toxique. Pourtant, même s’il est muni de sa boîte à outils criminels, le tueur en série non schizophrène pourra renoncer si les circonstances n s’y prêtent pas et si le danger d’être appréhendé et trop grand. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est responsable pénalement. » (75-76)
Dans le cas de Michel FOURNIRET, le plus pervers des tueurs en série français, selon Daniel ZAGURY :
« Si la quête du mystère de la virginité commandait les crimes initiaux, ce qu’il vise au fur et à mesure de la sériation c’est le pouvoir de donner la mort. Il ne cherche plus une réponse, mais à mettre en scène, dans une sorte de cérémonie mystique, la révélation du mystère de la virginité, c’est-à-dire, pour lui, la transformation du pur en impur. » (150)
Les tueurs en série : à des millions d’années-lumière d’Hollywood…
Avant tout, dans L’Enigme des Tueurs en série, Daniel ZAGURY veut démythifier le personnage du « Serial Killer » tel qu’il est véhiculé par Hollywood :
« Si je parvenais à dissocier la réalité criminelle de sa mythologie, à témoigner des millions d’années-lumière qui séparent Hollywood du sordide de ces actes et de ces destins, à propos de ces hommes qui ne sont après tout que de ratés de la vie qui s’en prennent lâchement à des êtres sans défense, ce livre n’aura pas été tout à fait inutile. » (15-16)
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Non, les tueurs en série ne sont pas des monstres tout-puissants, l’incarnation du Mal ou du Diable sur terre,
contrairement à ce que la littérature, le cinéma ou la télévision essaient de nous faire croire :
A l’opposé du « fantasme d’omnipotence destructrice » partagé par tous, « le psychiatre expert, c’est celui qui vient dire que l’assassin est nu », écrit Daniel ZAGURY. (10)
Au mythe du tueur retors et intelligent, le psychiatre oppose « la rationalité du crime » (12), le « mécanisme psychique » à l’œuvre chez les tueurs en série. (13)
Et si pour tenter d’expliquer après coup ce qui se passe en eux, les tueurs en série tentent de s’identifier à un personnage mythique : le Diable, un vampire…, à nous de ne pas tomber dans le piège :
« Ils agissent. Ils ne pensent pas. Ils ne savent pas ce qui les pousse. Et moins ils pensent, plus nous fantasmons à leur place. On impute au tueur en série toute la gamme des désirs, des jouissances et des révoltes. Son mobile, parce que infigurable, fait surgir toutes les fantasmagories : à la déshumanisation de soi et de l’autre, à l’indifférence affichée répondent les mythes de tueur machinal, de Golem. A la toute-puissance menaçant la vie répond le pouvoir mythique des démiurges. Le clivage du Moi fait invoquer la coprésence légendaire du Dr Jekyll et de Mr Hyde. La captation envieuse de ce dont ils se sentent privés réveille les mythes vampiriques. Et c’est ainsi que de pitoyables ratés de la vie prennent figure de tout-puissants héros mythiques ». (74)
Selon l’auteur Daniel ZAGURY, la « vérité clinique » est à l’opposé de la fascination exercée par les tueurs en série :
« A la fascination exercée par ce paradigme contemporain du mal, il convient d’opposer la vérité clinique. Elle seule permet d’aller au-delà de la fascination, de ne pas en rester à la sidération, d’éviter de magnifier le mal, fût-ce en s’en défendant, ressort habituel de toute une littérature. » (74)
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Non, les tueurs en série ne sont pas des bêtes de sexe :
Selon Daniel ZAGURY, « la vérité est beaucoup moins [obscène] que les multiples fantasmes suscités à tout bout de champ par les tueurs en série. » (13)
« A l’encontre de la croyance dominante, les tueurs en série ne disent quasiment jamais éprouver un plaisir sexuel en donnant la mort. » (42)
Daniel ZAGURY évoque plutôt la notion d’ « élation narcissique » (43).
« La sexualité n’est pas le moteur de ces crimes. Elle en est le vecteur. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai proposé le terme de crime de sexe plutôt que de crime sexuel. […] C’est la haine qui se saisit de la sexualité comme d’une arme qui tue. » (58)
Et il ajoute :
« Quant à ceux qui seraient tentés de croire que les tueurs en série ont un imaginaire sexuel amplifié et débridé (…) l’imaginaire sexuel de FOURNIRET est nul. Le sexe, entre dégoût et gros câlin, ce n’est pas ce qui le meut. » (153)
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Non, les tueurs en série – du moins les tueurs en série français – ne sont pas mégalomanes et détestent la médiatisation :
« Contrairement au mythe hollywoodien, je n’ai jamais rencontré deserial killer gonflé d’orgueil par la peur qu’il déclenche ou par l’écho médiatique de ses crimes. Cette résonance publique de leur zone traumatique les amènerait plutôt à tenter de différer leurs actions criminelles, de se faire oublier. » (77-78)
Ainsi Guy GEORGES :
… « savait qu’on recherchait « le tueur de la Bastille » mais n’en éprouvait aucune fierté mégalomaniaque. Bien au contraire. D’une part, il s’inquiétait d’être appréhendé ; d’autre part, ce rappel amplifié d’une réalité qu’il avait réussi à gommer ravivait son angoisse. Tout à coup, il voit sur l’écran des faits destinés à rester secrets, y compris pour lui : « Je paniquais, dit-il. Je zappais. J’ai arrêté quand j’ai vu tout ce bordel ! » C’est exactement l’inverse de la légende hollywoodienne : Guy GEORGES ne tue pas pour qu’on parle de lui ! Il se planque. » (97)
Quant à Pierre CHANAL, il est « absolument déterminé à ne pas aller jusqu’au procès » (125) :
« Plutôt mourir que d’exhiber à la face des assises cette part archi-secrète de lui-même qui se serait déchaînée lors des crimes. On reconnaît la marque du clivage du Moi. La partie « normale » de lui-même ne doit jamais rencontrer l’autre partie enfouie. Ce serait insupportable, parce que cela mettrait fin à son illusion d’omnipotence, masque de sa détresse infantile, et il s’effondrerait. » (120)
La haine des tueurs en série pour les journalistes est très répandue, ajoute Daniel ZAGURY (186), avant d’évoquer la situation très différente outre-Atlantique :
« Aux Etats-Unis, où les serial killers sont devenus de véritables légendes du mal, où ils sont interviewés régulièrement, où ils disposent de fans-clubs, on observe des conduites de défi et une satisfaction à fournir le détail de leurs crimes. Pour le moment du moins, tel n’est pas le cas en France. » (132-133)
En Savoir plus :
- Acheter et lire « L’Enigme des Tueurs en Série » de Daniel ZAGURY (Ed. Pocket, 2010)
Cet article participe au challenge polars et thrillers chez Sharon
Merci pour ce passionnant billet !
Merci, Sharon ! Il y a parfois autant – voire plus – de suspense et d’horreur dans la réalité que dans nos fictions préférées…