Ne quittez pas l’Irlande et la belle ville de Dublin sans avoir visité Kilmainham Gaol. En plus d’être la plus grande prison victorienne restaurée d’Europe, donc intéressante par son architecture, elle a été, à sa manière, un témoin privilégié de la lutte pour l’indépendance de l’Irlande, ayant accueilli en ses murs la plupart des leaders nationalistes depuis le soulèvement de 1798 jusqu’à la guerre civile de 1922-1923.
Ouverte de 1796 à 1924, sur un total de 124 années, la prison de Kilmainham est devenue un véritable symbole national. Visiter Kilmainham permet à la fois de s’initier à cette époque capitale de l’histoire de l’Irlande et de mieux comprendre « l’âme irlandaise », telle qu’elle s’exprime par exemple dans les chansons de U2.
Les rebelles de tout poil adoreront cette visite …
Kilmainham Gaol, un témoin de l’histoire irlandaise…
A ses débuts en 1796, Kilmainham est la prison du comté de Dublin.
A ce titre, elle accueille aussi bien des hommes que des femmes ou des enfants, des mendiants, voleurs ou vagabonds, que des fous, des ivrognes, des prostituées ou des meurtriers… Le plus jeune prisonnier aurait été âgé de 7 ans, condamné pour vol de nourriture, et les emprisonnés pour dettes auraient fourni les premières années de fonctionnement plus de la moitié de la population de la prison. A l’époque de la Grande Famine (entre 1846 et 1848), on s’y fait volontiers enfermer pour ne pas mourir de faim.
Meurtres et vols avec violence sont à l’époque punis de mort et la porte de la prison garde la marque du gibet auquel on pend les condamnés en public jusqu’en 1865.
Depuis le début du 19ème siècle, la prison de Kilmainham sert aussi de point de rassemblement aux condamnés à la déportation provenant des contés de l’est et du nord-est de l’Irlande. Plus de 4.000 personnes transitent ainsi par Kilmainham avant d’être déportées vers l’Australie jusqu’à la fin des années 1830, alourdissant encore le problème de surpopulation de la prison.
Parmi les prisonniers politiques détenus ou exécutés à Kilmainham figurent les leaders des soulèvements indépendantistes de 1798, 1803, 1848, 1867 et 1916 : Henry Joy McCRACKEN, Robert EMMET, Anne DEVLIN, Thomas RUSSEL, Charles Stewart PARNELL, Michael DAVITT, Joseph PLUNKETT, Patrick and William PEARSE, Michael MALON and James CONNOLLY, Constance MARKIEVICZ, Grace GIFFORD et Eamon DE VALERA.
Ecrasée en 6 jours, l’insurrection de Pâques 1916 à Dublin – dont l’Irlande a célébré cette année le centenaire – et le passage par les armes de 14 des meneurs dans la cour des casseurs de pierre ou Stonebreakers’ Yard de Kilmainham retournera totalement l’opinion publique et conduira à l’indépendance irlandaise, 6 ans plus tard.
Les petites histoires dans l’histoire :
- Joseph et Grace PLUNKETT
La veille de son exécution, Joseph PLUNKETT épousa Grace GIFFORD dans la chapelle de la prison de Kilmainham. Artiste et militante nationaliste, elle aussi, Grace fut incarcérée à son tour à Kilmainham en 1923 et dessina sur les murs de sa cellule une « Vierge à l’enfant » qu’on peut toujours y voir.
- James CONNOLLY
Sévèrement blessé pendant l’Insurrection de Pâques de 1916, James CONNOLLY fut détenu au Château de Dublin, puis à l’Hôpital royal de Kilmainham avant d’être exécuté, attaché à une chaise, dans la cour de la prison.
Visite de la prison de Kilmainham, à Dublin
Située à seulement 3,5km à l’ouest du centre de Dublin en bus, la prison de Kilmainham se visite toute l’année (sauf du 24 au 26 décembre).
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Le Musée de Kilmainham Gaol
Réparti sur plusieurs niveaux, le musée de la prison de Kilmainham présente à la fois :
- une documentation historique sur la prison (ses concepteurs, l’évolution de ses effectifs, les méthodes qui y étaient employées…)
- des témoignages de la vie des prisonniers (photos, dessins, lettres, objets et souvenirs divers…)
- et une fresque du nationalisme irlandais entre 1798 et 1924.
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Visite guidée de la prison
Puis c’est la visite guidée en groupe, qui commence par un audiovisuel projeté dans la chapelle de la prison de Kilmainham, celle-là même où, la veille de son exécution, Joseph PLUNKETT avait épousé sa compagne de lutte.
Sombre et humide, l’aile ouest (west wing) est la plus ancienne de Kilmainham. Les murs et les portes suintants et rongés donnent une idée des conditions de vie des prisonniers à l’époque. On y visite en particulier le « couloir de 1916 » ou 1916 corridor, où ont été enfermés nombre des leaders des fameuses « Pâques sanglantes ».
L’aile est (east wing) date de l’époque victorienne et fut ajoutée en 1862. Lors de notre visite en décembre 2014, elle n’était malheureusement pas ouverte aux visites. Continuez la lecture de cet article pour découvrir ce que nous avons manqué !!!
La visite se termine par le Stonebreakers’ Yard, la cour de Kilmainham Gaol où les nationalistes irlandais et tant d’autres sont passés devant le peloton d’exécution.
Kilmainham Gaol, une prison modèle
Pour l’époque, Kilmainham Gaol est une prison modèle. Dès sa construction, elle innove par des cellules individuelles censées faciliter l’amendement des prisonniers, selon les idées du philanthrope britannique et grand réformateur des prisons John HOWARD (1726-1790). (1)
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Cellules individuelles
Comme expliqué dans la partie musée, l’époque victorienne a été une période très importante pour le design et la construction des prisons. Jamais on n’en a construit autant. L’isolement était censé couper le prisonnier du vice et de la corruption qu’on trouvait dans toutes les prisons non réformées, où les prisonniers quels que soient leur âge, leur sexe et leur crime se trouvaient mélangés.
La surpopulation induite par le regroupement sur Kilmainham des candidats à la déportation en Australie et la Grande Famine de 1846-48 ont évidemment rendu la pratique de l’isolement impossible. Les cellules accueillaient environ 5 personnes et des prisonniers dormaient même dans les couloirs… La prison de Kilmainham aurait accueilli plus de 9.000 prisonniers au cours de l’année 1850.
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Long drop vs. short drop
Kilmainham Gaol innovait encore en pratiquant la pendaison par « long drop » (ou par précipitation), censée provoquer une mort rapide et sans souffrance…
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Structure en panoptique
L’autre grand réformateur des prisons influent à cette époque fut Jeremy BENTHAM (1748-1832), à qui l’on doit l’invention du « panoptique », à l’origine destiné à la surveillance des usines.
D’abord augmentée de quelques cellules en 1845, équipée de fenêtres et de l’éclairage au gaz, c’est toute une aile – la fameuse aile est ! – qui est adjointe à la prison de Kilmainham en 1862.
Conçue d’après le modèle du panoptique, l’extension de Kilmainham supprime les couloirs et les remplace par des rampes sous un haut espace voûté surmonté d’une verrière. Ce design permettait de conjuguer l’isolement en cellules particulières et une surveillance maximum de la part du personnel de la prison (Source : Kilmainham Museum).
Le résultat est réellement impressionnant !
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Les « mugshots » ou photographies d’identité judiciaire
Afin de pouvoir identifier les récidivistes, la photo est introduite à Kilmainham au début des années 1860. La technique du « mug shot » (photo anthropométrique ou photographie d’identité judiciaire) va se développer bien avant celle des empreintes digitales.
L’utilisation d’un miroir correctement positionné permettait d’obtenir sur un seul cliché le portrait de face et de profil du détenu et d’économiser sur la pellicule et le développement.
L’intérêt pour la prison désaffectée de Kilmainham en tant que musée, mémorial de l’insurrection de Pâques 1916 et de la lutte pour l’indépendance irlandaise est né vers la fin des années 30. En 1958, la Kilmainham Jail Restoration Society composée de volontaires et d’ex-prisonniers se forme et la restauration des bâtiments commence, pour s’achever en 1971 avec la réouverture au public de la chapelle.
Qu’on s’intéresse à l’architecture des prisons ou à l’histoire de l’Irlande, la prison de Kilmainham Gaol à Dublin est fascinante à visiter !
Elle a récemment servi de décor à l’épisode 1×02 de la série télé britannique Ripper Street où le très jeune Thomas Gower – assassin supposé d’un fabricant de jouets et promis à la corde – est sorti de sa cellule par Reid et Drake pour assister à l’exécution qui le poussera à parler.
Le clip de la chanson de U2 « Celebration » (1982) a également été tourné dans la prison de Kilmainham.
NOTES :
(1) John HOWARD est l’auteur de “The State of the Prisons” (l’Etat des Prisons), publié en 1777. Ses idées ont influencé le mouvement de réforme des prisons et leurs principes de construction en Europe et aux Etats-Unis.
Kilmainham, Dublin, Co. Dublin, Irlande
Kilmainham, Dublin, Co. Dublin, Irlande
En Savoir plus :
- Visiter la prison de Kilmainham Gaol à Dublin : Kilmainham Gaol, Visitor Centre,Inchicore Road, Kilmainham, Dublin 8, Ireland. D08 RK28.