Charivari à Bucarest, de Sylvain AUDET-GĂINAR…

Couverture du polar Charivari à Bucarest

Dernier volet de la trilogie Arthur Weber, Charivari à Bucarest nous replonge dans un tourbillon de situations drôles et/ou catastrophiques. L’auteur Sylvain  AUDET-GĀINAR y partage aussi certaines révélations historiques sur le sort des artistes et des homosexuels roumains sous le communisme et alerte sur la montée de l’extrême droite en Europe.

Amoureux de la Roumanie et de sa culture, Sylvain AUDET-GĀINAR a un catalogue de secrets à révéler sur la période CEAUŞESCU.  La trilogie Arthur Weber pourrait donc se poursuivre éternellement. Voyons un peu ce que l’auteur va sortir de son chapeau, cette fois…

Charivari à Bucarest : ce qui change et ce qu’on retrouve avec plaisir dans le dernier opus de la trilogie

Devenu père de famille, Arthur conserve son rôle de candide et de punchingball. 4 ans après Micmac à Bucarest, pourtant, les enquêteurs fossiles de l’AIUREA ne sont plus bons qu’à enterrer les leurs :

« Où sont-ils d’ailleurs parvenus à dégoter ce corbillard rose bonbon ? », s’interroge Arthur (8).

et à extirper de la « pommade » alzheimerienne  dans laquelle ils s’engluent (102-103) les rares souvenirs qui contribueront à l’enquête (162)…

Charivari à Bucarest voit donc une nouvelle « équipe de détectives tziganes » (71) menée par Mitch, alias Mititei. Mais ce sont surtout les 4 enfants de Tudor, âgés de 11 à 18 ans, qui la font avancer. Du côté des détectives, on saute donc une, voire deux générations.

Dès le départ, l’auteur se débarrasse en outre de 2 personnages importants qui auraient éventé son enquête avant même qu’elle commence : il envoie Iulia en voyage (39) et son père Vasile dans le coma (42) (!)

Quand Du Rififi à Bucarest enquêtait sur l’oncle roumain d’Arthur et Micmac à Bucarest sur sa mère Ottilia, le dernier tome de la trilogie fouille du côté de Vasile. Un nouveau destin roumain comme Sylvain AUDET-GĀINAR sait si bien les croquer !

Charivari à Bucarest élargit donc son scope au début du communisme en Roumanie et plus seulement aux 20 années de dictature de CEAUŞESCU.

Alors que les dossiers secrets de la Securitate était au cœur des 2 premiers tomes, Charivari à Bucarest alterne systématiquement 2 lignes temporelles différentes :

  1. le récit au présent
  2. les discours et rapports de filature de la même police secrète roumaine entre 1963 et décembre 1989.

Sylvain  AUDET-GĀINAR se prendrait-il pour ce cher INDRIDASON ??!

Le goût des mots, des rebondissements et des images

Premier constat dans ce dernier tome de la trilogie polar, la langue adoptée dans la série a mûri, se lâche et vit (presque) sa propre vie !

  • Dédié aux admirateurs de San-Antonio…

Inspiré dès le début de la trilogie par Frédéric DARD, Sylvain AUDET-GĀINAR dédie Charivari à Bucarest :

« Aux admirateurs de San-Antonio à qui ce livre rend humblement hommage » (363).

Dans le style du maître, le récit au présent se charge :

  • d’argot (louftogomme 17, poultok 67),
  • de tournures verbales audacieuses (leur réponds-je 14, m’entends-je 39),
  • et d’inventions en tous genres (parkinsoniamment  101, méfianssitude 131, bandonéoner du frontal 301).

Enfants obligent, le récit s’émaille aussi de multiples mots d’enfant (174-175, 231, 314) qui ajoutent une touche de fraîcheur.

  • Truculent

En plus d’une incroyable galerie de personnages, l’écriture de Charivari à Bucarest se caractérise par :

  • De fréquentes allusions au sexe,
  • des blagues plus ou moins légères (17, 38-39, 238),
  • un vrai sens du comique (311),
  • le goût de l’épique et des retournements de situation (90, 91, 117, 130-131, 136).

Tous ces éléments combinés contribuent au sentiment de liberté partout présent dans ce tome et à la jubilation ressentie par le lecteur.

Si on pense à une adaptation de Charivari à Bucarest, on imagine immédiatement une série animée à la Scooby-Doo. Arthur y serait sans aucun doute Sammy, Daphné Iulia et Vera, la jeune hackeuse Miruna…

  • Des morceaux d’anthologie…

Dans la même veine, on note l’attrait pour les descriptions imagées qui culminent dans de véritables morceaux d’anthologie, comme :

  • le portrait de la commissaire Violeta Berudescu, alias « la Béru » (225) : « Une brillante intellectuelle » (53) qui « manque sévèrement d’huile sous le capot » (64) ou encore : « un blobfish gavé à l’huile de palme » (66),
  • celui de James, pris pour Arthur et à qui des voyous ont refait la devanture : « Blanc, rouge, bleu, le mec ressemble à un tableau de Mondrian ! » (212),
  • celui de son demi-frère Alexandru : «Déboisé complet de la colline, autant de cils et de sourcils qu’un merlu, deux trous en guise de blaze, les portugaises en forme de coquillette, la peau à peu près aussi lustrée que l’entrejambe de Victor Noir au Père Lachaise ! Pour le dire tout net, à côté de ce grand brûlé, Voldemort aurait une physionomie d’égérie masculine pour Hugo Boss ! » (311)
  • ou encore la description de la Dacia hors d’âge du vieux Ghiţă: « – Venez, j’ai garé Bimbo juste ici !
    Bimbo, c’est sa Dacia paléolithique. Elle part en copeaux, en poussière, en microparticules. Il y a des sacs en plastique à la place des vitres et une photo de Marx en slip à la place du rétro. Elle perd son huile, ses boulons, ses tuyaux, ses ressorts, ses courroies, ses cylindres, ses bougies, mais elle roule encore ! »
    (314)
  • Charivari à Bucarest: un nouveau goût pour les décors

La trilogie se renouvelle également par une nouvelle attention à certains décors roumains grandioses, tels que :

  • le célèbre parking Ciclop situé au cœur de la capitale (292),
  • ou les Studios de cinéma de Buftea (315), qui donne à l’auteur l’occasion de partager sa liste de films roumains préférés (323).

Un vrai plaisir de lecture !

Le parking Ciclop de Bucarest transformé en galerie d’art urbain en 2013 – Photo ©Mihai Petre / Wikimedia Commons

Le sort des artistes roumains et des homosexuels pendant la période communiste

Juste avant son AVC, au début de Charivari à Bucarest, Vasile est arrêté (19) pour trafic de faux tableaux (42). Le prétexte pour Sylvain  AUDET-GĀINAR pour évoquer le sort des artistes sous la dictature de CEAUŞESCU…

Dans ce troisième opus de la trilogie, la description des difficultés quotidiennes reste présente (88, 102-103, 238, 310). Sylvain AUDET-GĀINAR continue à brocarder les agents de la Securitate, leurs rapports mal écrits ou prouvant leur imbécilité :

  • « n’entretiennassent » (319)
  • « [Felix Dumitru et sa femme] n’en sont repartis qu’après le départ de nos agents chargés de les suivre. » (216)
  • Le plan destiné à séparer Felix et Craiul par rumeur, calomnie, décrédibilisation ou dénigrement « n’a toutefois et néanmoins pas fonctionné. […] Là aussi, cette mise en place n’a ni fonctionné ni marché. » (319)
  • L’art soluble dans le communisme

Les chapitres de Charivari à Bucarest consacrés aux rapports de la Securitate, eux, dévoilent le destin de la famille Dumitru :

  • de la condamnation du père, ancien dignitaire du Parti, à 15 ans de prison et sa mort en détention, 1961-1964 (97),
  • à l’exclusion de l’Opéra par ses pairs de la mère cantatrice, puis son suicide en 1962 (55),
  • jusqu’aux conséquences sur la vie de leur fils Felix : empêché de poursuivre des études, mis au travail à 16 ans (98) et surveillé de près depuis (99).

« Vive la république populaire roumaine ! Vive la classe ouvrière ! » (82)

Soucieux de partager ses connaissances, Sylvain AUDET-GĀINAR s’adjoint un personnage d’historienne (277) dans Charivari à Bucarest pour nous raconter par le menu :

  • l’utilisation de l’art comme « arme idéologique » par le Parti (278),
  • la nouvelle mission dévolue aux artistes « d’élever les masses » (53) à travers « un modèle esthétique unique, d’inspiration soviétique » (278) : le réalisme socialiste.
  • et la fin du marché libre des œuvres d’art (278-279).
  • De faux tableaux pour renflouer les caisses de l’état

Charivari à Bucarest prétend aussi mettre au jour un nouveau programme secret de CEAUŞESCU pour renflouer ses caisses : le programme Pensula (ou « pinceau » en roumain). Ce programme secret géré par la Securitate aurait consisté à recruter des artistes, par les méthodes qu’on connait, pour copier des œuvres de maîtres et vendre les faux en Occident (283).

« En quelques années, l’État roumain a vendu à travers le monde entier des centaines d’œuvres faussement attribuées à des artistes de grand renom. » (283)

Au total, 2304 tableaux, parmi lesquels des Picasso, Klimt ou Munch, avance l’historienne de Charivari à Bucarest (284).

  • La répression de l’homosexualité en Roumanie

Felix Dumitru, alias « Felix Pictorul », aurait ainsi été recruté malgré lui, sous la menace de révéler son homosexualité (159-160). Des faits punis d’1 à 5 ans de prison par le code pénal roumain entre 1968 et 2001. Soit 12 ans après la chute du régime communiste !, révèle Sylvain AUDET-GĀINAR… (170)

À l’appui de ce thème, on note d’ailleurs l’introduction de nouveaux personnages hauts en couleur dans la trilogie :

  • Rubis, la nounou transgenre ancien champion roumain de lancer de marteau des jumeaux d’Arthur (47-48)
  • et le couple formé par George et James, héritier de Mme Valsan, sa voisine (166).
  • Charivari à Bucarest: un pamphlet contre l’extrême droite

Revenant au présent, Sylvain AUDET-GĀINAR dénonce, avec un sens de l’actualité étonnant, la montée de l’extrême-droite en Europe à partir des années 90… L’ennemi d’Arthur dans ce dernier tome de la trilogie confie ses basses besognes au chef de « la Nouvelle Garde » (231) : un « groupe de vrais patriotes », une « bande de fachos » ou de « nazillons », écrit l’auteur (230-231).

Et Arthur d’expliquer :

« Weber […] n’est pas un nom juif ! C’est un nom alsacien ! » (210)

Un peu court peut-être, l’auteur ne trouve guère à opposer au « plus fâché des fachos roumains » (332) que le pâle écho d’une prière, un « vieux souvenir de catéchisme » un peu « gnangnan » :

« Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. » (327)

C’est toujours mieux que rien…

Les qualités essentielles de la trilogie polar bucarestoise de Sylvain AUDET-GĀINAR sont : 1/ qu’on s’y amuse et 2/ qu’on y apprend plein de choses sur l’histoire récente de la Roumanie. Charivari à Bucarest ne fait pas exception.

Et comme le lire est beaucoup plus drôle qu’en parler, vous savez ce qui vous reste à faire !

 

En Savoir plus :

Couv Charivari à Bucarest, ©SKTV
Photo ©SKTV

2 thoughts on “Charivari à Bucarest, de Sylvain AUDET-GĂINAR…

  1. sylvaudetgainar dit:

    Bonjour ADA,
    Merci pour cette magnifique chronique ! Ton analyse est, comme toujours, d’une justesse et d’une profondeur impressionnantes. Tu as su capturer l’essence de mon livre et en révéler un grand nombre d’aspects. Ton regard critique et ta capacité à saisir les nuances de l’intrigue sont véritablement remarquables.
    Merci pour ton soutien et pour cette belle mise en lumière sur SKTV !
    Au plaisir de lire tes prochaines chroniques !
    Bien à toi,
    Sylvain

    • Ada dit:

      Merci pour merci ! Je me suis régalée avec Charivari à Bucarest, autant qu’avec les 2 premiers ! Et comme chaque fois, j’ai appris plein de choses… Hâte de lire ta prochaine production. Un polar, j’espère !

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